Un objet à la loupe : le mobilier néolithique de prestige et d’importation de Tuchenn Pol
C’est un fait désormais bien connu : les archives du musée d’Archéologie nationale regorgent de trésors. En témoigne cette photographie saisissante prise en 1891 issue de l’album consacré au département du Morbihan par la Commission de Topographie des Gaules. On y aperçoit des Bretons sur la lande de Kerham près de Ploemeur, un bel endroit situé face à l’île de Groix. Ils attendent que le commandant Louis Le Pontois, capitaine de frégate et archéologue amateur, ait terminé de mesurer une des dalles gravées du dolmen à couloir de Tuchenn Pol. Au premier plan nous apercevons la chambre funéraire, largement éventrée après une fouille probablement expéditive, d’où provient un ensemble d’objets exceptionnels.
Cette grande sépulture mégalithique fait partie d’un ensemble comprenant trois tumuli de la fin du Ve millénaire avant notre ère, alignés selon un axe nord-nord-est/sud-sud-ouest, un monument circulaire daté de l’âge du Fer et trois autres petits tumuli aujourd’hui disparus.
Un vaste trois pièces face à la mer
Dénommée Tuchenn Pol, elle est située sur le point dominant de la butte et abritait deux tombes à couloir ainsi qu’un riche mobilier funéraire comportant quelques céramiques et du matériel lithique, dix-neuf perles en variscite (dont une grosse perle ronde pesant 115 g), cinq perles en turquoise, deux perles en ambre, une perle en séricite, une grosse perle en chrysoprase (une variété de calcédoine), une longue lame en silex du Grand-Pressigny de presque 28 cm de long ainsi que deux haches en jadéite mesurant chacune 15,4 et 14 cm.
Le vert infiniment bleu des perles de callaïs
Les perles bleues de Tuchenn Pol fascinent par la variété de leur couleur, leur luminosité et leur poli. Autrefois elles étaient regroupées sous le même matériau dénommé « callaïs » mais les progrès de la minéralogie permettent aujourd’hui de mieux distinguer la variscite, un phosphate d’aluminium hydraté, de la turquoise, un phosphate de cuivre massif. Ces deux pierres sont complètement exogènes à la Bretagne. Des études récentes menées par un collectif de chercheurs européens ont pu démontrer avec certitude que toutes les perles morbihannaises en variscite provenaient d’Espagne, notamment d’un site minier du nom de Pico Centeno en Andalousie, qui a été exploité à partir de 5200 avant notre ère. On ne connaît pas avec certitude la provenance de la turquoise de Tuchenn Pol, mais les gisements répertoriés sont également situés fort loin de la Bretagne, dans la Creuse par exemple, à Montebras, et surtout au nord-ouest de la péninsule Ibérique. À examiner de plus près les perles de Tuchenn Pol, on est frappé par le caractère usé de certaines d’entre elles, qui ont dû voyager de main en main, au gré des échanges entrepris au bord des routes ou au hasard des navigations le long des côtes de la façade atlantique.
Des trésors venus de tous les horizons
Les rares et précieuses perles bleues d’Andalousie ne sont pas les seules pièces d’importation découvertes parmi le mobilier déposé sous le tumulus de Tuchenn Pol. Ce dernier rassemble en effet de nombreux objets venus d’horizons lointains, notamment deux perles en ambre, issues des rivages de la Baltique, qui étaient probablement autrefois d’une belle couleur miel d’acacia. Les deux haches en jadéite finement polies sont, quant à elles, originaires du mont Viso, situé dans les Alpes italiennes. L’une, de type Tumiac, a été percée afin d’être exposée à l’occasion de cérémonies ou lors de démonstrations de pouvoir. L’autre, de type Puy, a été produite par sciage et annonce, par son profil droit et caréné, les premières productions en cuivre qui commencent à circuler à l’est des Alpes à partir de la fin du Ve millénaire. Enfin, la grande et belle lame de silex doré, qui vient tout juste d’être restaurée, figure probablement parmi les plus anciennes lames extraites des gîtes de silex du Grand-Pressigny en Touraine. Elle a été obtenue par pression, un peu à la manière des super blades, ces grandes lames de silex prestigieuses provenant des sépultures les plus riches du cimetière de Varna, en Bulgarie, datées de 4500 avant notre ère.
L’expression des réseaux d’échange du Néolithique
Cet ensemble est hors norme par sa richesse, sa diversité et la rareté des matériaux qu’il réunit. Il provient d’une sépulture démesurée, fabriquée à partir de dalles et de blocs pesant parfois plusieurs tonnes. On peut dès lors supposer que le personnage qui a été inhumé dans ce grand tombeau, construit face à la mer, à l’endroit où le soleil se couche, avait une certaine importance pour la communauté d’éleveurs et d’agriculteurs, qui lui a bâti ce mausolée vers 4300 avant notre ère. Les objets qu’il a emportés avec lui, ou qui ont été déposés pour lui, constituent une démonstration de son pouvoir : ce qui est évoqué dans ce riche assemblage n’est pas tant la fortune du possédant que l’ampleur des relations que nouait le défunt avec le monde connu, par-delà les frontières du groupe culturel auquel il appartenait. On dirait aujourd’hui qu’il affichait ainsi la puissance et l’étendue de « son réseau ».
Pour aller plus loin :
Collectif, 2015, Signes de richesse, inégalités au Néolithique, catalogue de l’exposition, musée national de Préhistoire – Les Eyzies‑de‑Tayac, 27 juin‑15 novembre 2015, Paris, Réunion des musées nationaux. QUERRE G., CASSEN S. et VIGIER E. (dir.), 2019, La parure en callaïs du Néolithique européen, Oxford, Archaeopress Archaeology.
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