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Un objet à la loupe : quels publics pour le Musée gallo-romain de Saint-Germain ?

Registre d’entrée des visiteurs (détail), 1868-1876.

Registre d’entrée des visiteurs (détail), 1868-1876. © MAN, centre des archives

Peu après sa création en 1862, le Musée gallo-romain, aujourd’hui musée d’Archéologie nationale (MAN), s’interroge déjà sur les enjeux liés aux publics qu’il faut conquérir. L’analyse des registres des visiteurs pour les années 1868-1887, la correspondance et les guides anciens avancent quelques éléments de réponse sur les conditions d’accueil du « grand public », des savants, des érudits, des curieux et des voyageurs étrangers.

Dès sa conception, la commission consultative pour l’organisation du musée, bien consciente de la difficulté d’attirer des visiteurs dans un musée hors de Paris et présentant des objets jugés peu esthétiques, joue la carte du musée scientifique voué à délivrer une leçon d’histoire du territoire national et soutenu par la discipline archéologique naissante.

Les règles d’accès au musée de 1867 à 1887

Le musée ouvre ses portes au public le 1er mai 1867. Un arrêté du 29 avril 1867 définit les horaires et conditions d’accès. Le musée est fermé le lundi, comme les autres musées impériaux, et son accès est gratuit. Il est ouvert à tous les publics, les mardi, jeudi et dimanche de 11 h 30 à 17 h. Les mercredi, vendredi et samedi sont réservés à l’étude sur présentation d’un permis délivré par l’administration. Le premier dimanche qui suit l’ouverture, 1 500 visiteurs arpentent ses salles, puis les mardi et jeudi suivants 500 à 600 personnes sont admises chaque jour. Bien vite, des personnages en vue bénéficient d’un droit de pénétrer dans le musée hors des règles fixées. C’est ainsi que son altesse royale le prince héréditaire de Prusse accompagné du prince de Hesse, très intéressés par la restauration du château et par la conquête des Gaules par César, sont reçus le 4 juin 1867. Les règles évoluent à la marge les années passant. Les horaires varient selon les saisons, du fait de l’absence d’éclairage dans les salles. L’étude est toujours possible les mercredi, vendredi et samedi sur présentation d’une autorisation. Quant aux personnes de passage à Saint-Germain, elles peuvent se faire conduire dans les salles par un gardien s’il s’en trouve un disponible et à la condition de signer un registre. Ces règles disparaissent par la suite, car l’accès aux musées nationaux devient payant hormis le dimanche en 1922.

Musée gallo-romain, salle de la Pierre taillée. Gravure de Jules-Antoine Peulot d’après un dessin d’Auguste Deroy, tirée de la revue Le Monde illustré du 11 janvier 1868.

Musée gallo-romain, salle de la Pierre taillée. Gravure de Jules-Antoine Peulot d’après un dessin d’Auguste Deroy, tirée de la revue Le Monde illustré du 11 janvier 1868. © MAN, centre des archives

Enregistrer les visiteurs

En cette seconde moitié du XIXe siècle, comptabiliser la totalité des visiteurs est difficile en l’absence de la vente de billets d’entrée et aucun document ancien ne nous permet à ce jour d’apprécier leur volume chiffré sur le temps long. Seuls ceux autorisés les jours de fermeture sont enregistrés pour des raisons de sûreté. En 1868, Gabriel de Mortillet, qui vient d’être nommé attaché à la conservation, instaure la tenue d’un « Livre des entrées » dans lequel on porte les noms, prénoms, adresses et professions. Ainsi, nous apprenons que nombreux et fréquents sont les visiteurs étrangers : originaires de tous les pays d’Europe, mais également de Russie, d’Égypte, d’Amérique du Nord, de Colombie et du Chili. Les professions sont variées, on rencontre en particulier des militaires, des ecclésiastiques et des hommes politiques ; mais aussi des rentiers et des aristocrates. Peu d’ouvriers et d’artisans se différencient de cette classe de visiteurs aisés. Quelques femmes venues seules se glissent parmi un public essentiellement masculin. Certains viennent en famille, d’autres sont accompagnés de leurs élèves. C’est entre mars et octobre qu’il y a le plus de visites ; les jours de pluie hivernaux sont dépourvus de visiteurs.

Registre d’entrée des visiteurs, 1868-1876.

Registre d’entrée des visiteurs, 1868-1876. © MAN, centre des archives

Touristes, professionnels et connaisseurs 

On peut distinguer trois types de visiteurs : les « touristes » français et étrangers plus libres de leur temps, soucieux de bénéficier du confort d’une visite dirigée par un cicerone, parmi lesquels on retrouve Ernest Renan, Camille Saint-Saëns ou le général Faidherbe ; les « professionnels » tels que les artistes peintres à la recherche de modèles à reproduire, comme Paul Balze et Adolphe Giraldon, ou les enseignants accompagnés de leurs élèves, comme le professeur de géologie à l’École normale supérieure Achille Delesse, la supérieure du pensionnat des Dames de la Compassion ou le directeur de l’orphelinat professionnel protestant ; enfin, les très nombreux « connaisseurs ». Ces derniers sont des savants, érudits, archéologues amateurs et collectionneurs, membres de sociétés savantes passionnés d’histoire nationale et locale, mis à contribution par le personnel scientifique du musée et reçu par lui, pour étudier, classer, documenter ou donner objets, moulages et ouvrages.
À partir de 1867, les salles du musée se couvrent d’une abondante documentation qu’une bibliothèque complète. En 1887, 218 documents, souvent produits en collaboration avec nos « connaisseurs », accompagnent ainsi les visiteurs de salle en salle.