Le média en ligne des Éditions Faton

Une scène d’atelier acquise par le Fitzwilliam Museum

Edme Adolphe Fontaine, Intérieur d’atelier (détail), signé, daté 1878. Huile sur toile, 65 × 81,3 cm. Cambridge, The Fitzwilliam Museum.

Edme Adolphe Fontaine, Intérieur d’atelier (détail), signé, daté 1878. Huile sur toile, 65 × 81,3 cm. Cambridge, The Fitzwilliam Museum. Photo © The Fitzwilliam Museum, University of Cambridge

C’est un séduisant tableau au cadrage très calculé, apparemment réaliste mais sur lequel plane agréablement l’ange du bizarre, qui a rejoint les collections du Fitzwilliam Museum de Cambridge cet automne.

Demeuré entre les mains de la famille du peintre, le tableau était précédemment passé en vente à Quimper en mars-avril 2024 (il fut adjugé pour la somme de 10 000 euros). Le musée britannique en a finalement fait l’acquisition auprès de la jeune galerie londonienne Elliott Fine Art, spécialisée dans les peintures et les œuvres graphiques du XIXe siècle et du début de la modernité. Edme Adolphe Fontaine (Noisy-le-Grand, 1814-Versailles, 1883) ne compte guère parmi les célébrités de l’art français au XIXe. Formé par Léon Cogniet (qui eut aussi Degas parmi ses élèves), il entra à l’école des beaux-arts avant de commencer une carrière de peintre d’histoire et de portraitiste académique, se signalant par son métier lisse, sa prolixité1 et son conformisme esthétique. Exposant régulier au Salon (en 1852, il obtint une médaille de 3e classe), Fontaine montra au public des Champs-Élysées en 1878 – pour sa dernière apparition – un Intérieur d’atelier (n°914) qui correspond évidemment à notre tableau.

« La “peintresse”, qui n’est autre Marie-Claire Fontaine, fille et élève d’Edme Adolphe, réalise l’effigie à mi-corps d’une “Mlle E.B….” »

Probablement le chef‑d’œuvre du peintre

Ce dernier peut d’abord être apprécié comme une scène de la vie artistique au début de la IIIe République. Dans l’atelier versaillais de Fontaine (situé au n°4 de la rue Royale), une jeune artiste (nul doute que cet aspect en phase avec notre temps a beaucoup contribué à la décision d’acheter l’œuvre…) travaille au portrait d’un modèle de son âge. La « peintresse », qui n’est autre Marie-Claire Fontaine, fille et élève d’Edme Adolphe, réalise l’effigie à mi-corps2 d’une « Mlle E.B…. », œuvre qui fut présentée, tout comme le tableau paternel, au Salon de 1878 (n°915). La scène de genre se double d’une sorte de chronique familiale. L’intéressante notice de la galerie Elliott indique que la tenue de deuil de l’un des deux « chaperons » figurant sur la droite renverrait à la mort récente de la femme d’Edme Adolphe, et mère de Marie-Claire, l’année précédente. Un contemporain (Th. Véron, voir note 2) soutint, quant à lui, que les deux femmes étaient respectivement les mères de la jeune artiste et de son modèle – ce qui, certes, n’invalide pas la possibilité d’un hommage, posthume, à Mme Fontaine.

Edme Adolphe Fontaine, Intérieur d’atelier, signé, daté 1878. Huile sur toile, 65 × 81,3 cm. Cambridge, The Fitzwilliam Museum.

Edme Adolphe Fontaine, Intérieur d’atelier, signé, daté 1878. Huile sur toile, 65 × 81,3 cm. Cambridge, The Fitzwilliam Museum. Photo © The Fitzwilliam Museum, University of Cambridge

Une « allégorie réaliste »

Les scènes d’atelier, qui trouvent leur origine dans les représentations médiévales de saint Luc peignant la Vierge, se contentent rarement d’être descriptives, purement prosaïques, sans offrir une dimension métaphorique. Ici, la présence dans le champ pictural de copies de Raphaël, Titien et Nattier (ou encore l’évocation du tableau de Fontaine primé au Salon) font insensiblement dériver la sage évocation d’une pratique « domestique » de la peinture et la chronique familiale vers une allégorie de l’art lui-même. L’intérieur d’atelier présenté par Fontaine au Salon de 1861 était-il très différent ? Mystère. Toujours est-il qu’ici l’excellent cadrage et l’emboîtement en abîme « de la peinture dans la peinture dans la peinture » (l’auteur représente sa fille en train de portraitiser un modèle – qui est comme sa jumelle –, laquelle se trouve inscrite dans le cadre d’un paysage) se soldent par une parfaite réussite tout à la fois paisiblement bourgeoise et extra-ordinaire.

1 Le musée Lambinet conserve, par dizaines, des portraits du peintre qui vécut, travailla et mourut à Versailles.

2 Ce que l’on apprend dans la littérature du temps, qui ajoute : « […] sa jolie tête est fine ; elle a les bras croisés ; ses mains, qui pourraient être plus faites, tiennent une rose […] Quoique cette étude soit timide, il faut tenir compte des qualités d’art de la tête. » (Théodore Véron, Dictionnaire Véron… Le Salon de 1878, 1878, p. 235).