Chronique désinvolte du marché de l’art de François Duret-Robert : « Prescrit ou pas prescrit ? »

Claude Ruiz Picasso à Berlin en l’an 2000 à l’occasion de la troisième exposition qu’il consacre à l’œuvre de son père.

Claude Ruiz Picasso à Berlin en l’an 2000 à l’occasion de la troisième exposition qu’il consacre à l’œuvre de son père. © akg-images / Bruni Meya

Dans une affaire de faux dessins de Pablo Picasso, l’action en responsabilité civile s’est avérée prescrite, alors que celle en nullité de la vente ne l’était pas.

Comme nous avons eu l’occasion de le signaler à plusieurs reprises dans cette « chronique », la jurisprudence s’avère très protectrice des intérêts des amateurs qui « s’aventurent » sur le marché de l’art. Cette protection repose sur certaines dispositions du droit commun dont les juges donnent souvent une interprétation extensive. Elle consiste essentiellement dans deux possibilités offertes aux intéressés : demander l’annulation de la vente pour erreur sur une qualité essentielle et mettre en cause la responsabilité des professionnels qui ont participé à la vente, notamment lorsque celle-ci a eu lieu publiquement et aux enchères. Mais il se peut que seule l’une de ces deux possibilités soit suivie d’effets, l’autre se heurtant à l’une des dispositions de la loi, telle la prescription. Ce fut le cas dans l’affaire que nous allons évoquer.

Des dessins condamnés

Monsieur B… a fait l’acquisition, dans une vente publique aux enchères qui a eu lieu le 8 juin 2009, de deux ouvrages qui, selon la description du catalogue, étaient ornés de dessins originaux de Pablo Picasso. Dix ans après la vente, il soumit deux de ces dessins au comité Picasso Authentification. Et il reçut le 14 novembre 2018, de la part de Claude Ruiz Picasso, la réponse suivante : « Ces dessins, compte tenu des informations que vous nous avez transmises, et après examen visuel et en l’état des connaissances (de Claude Picasso) ne sont pas, à son avis, une œuvre originale de la main de son père Pablo Picasso ». L’acheteur mit alors en demeure l’opérateur de ventes de lui reverser le montant qu’il avait acquitté pour l’achat de ces deux ouvrages. Ce dernier, convaincu du bien-fondé de cette demande, s’exécuta. Et il considéra qu’il était, de ce fait, subrogé dans les droits de l’acheteur1, et qu’il pouvait, par conséquent, réclamer au vendeur le remboursement du prix d’adjudication. Puis la justice fut saisie. L’opérateur de ventes et l’acheteur demandèrent au tribunal de Paris :

– d’annuler la vente du 8 juin 2009 ;
– de condamner le vendeur à la restitution du prix d’adjudication ;
– de reconnaître que l’expert de la vente, Monsieur C…, avait engagé sa responsabilité professionnelle et, en conséquence, de le condamner à reverser à l’acheteur le montant des frais de vente.

L’annulation de la vente

Les juges ont considéré que, dans son avis, Claude Ruiz Picasso énonçait une vérité qui ne prêtait pas à discussion : « Au regard de l’avis donné le 14 novembre 2018 par Picasso Authentification, qui est la seule autorité habilitée à se prononcer sur l’authenticité des œuvres de Pablo Picasso, les dessins litigieux ne sont pas de la main de Pablo Picasso ». Une prise de position aussi catégorique peut surprendre, mais elle explique que le tribunal2 ait prononcé l’annulation de la vente, l’authenticité des œuvres acquises constituant naturellement une qualité substantielle aux yeux de l’acheteur.

« L’erreur est une cause de nullité si elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. L’erreur sur l’authenticité est une erreur sur la substance et est nulle la vente contractée par l’acquéreur dans la conviction erronée de l’authenticité de l’œuvre acquise. »

Tribunal judiciaire de Paris, 11 février 2021

La responsabilité de l’expert

Le tribunal n’a pas contesté le principe de la responsabilité civile de l’expert. Mais l’avocate de celui-ci, Me Trouflaut, a fait observer que l’action engagée contre son client était irrecevable car tardive. Cette action était éteinte en raison de la prescription. L’article 321-17 du code de commerce précise, en effet, que « les actions en responsabilité civile engagées à l’occasion des prisées et des ventes volontaires et judiciaires de meubles aux enchères publiques se prescrivent par cinq ans à compter de l’adjudication ou de la prisée ». La vente ayant eu lieu le 8 juin 2009, le délai imparti pour engager l’action en responsabilité avait expiré le 8 juin 2014. En revanche, s’agissant de l’action en nullité pour erreur de la vente, la prescription n’était pas encore acquise. Car si, dans ce cas, la prescription est également de cinq ans, elle ne court qu’à partir de la découverte de l’erreur. C’est la raison pour laquelle le tribunal a pu prononcer la nullité de la vente du 8 juin 2009. Autant dire que l’acheteur va récupérer, en contre-partie de la restitution des deux ouvrages, les prix d’adjudication. En revanche, si les frais de vente ne lui avaient pas été remboursés à l’amiable par l’opérateur, il n’aurait pas pu les recouvrer.

1 La subrogation, qui permet notamment au bénéficiaire d’exercer les droits du créancier qu’il a désintéressé, peut être légale ou conventionnelle, mais dans les deux cas, elle suppose que certaines conditions soient remplies. Malgré les objections présentées à ce sujet lors du procès, le tribunal de Paris a admis que l’opérateur de ventes avait été « subrogé dans les droits de l’acquéreur ».
2 Tribunal judiciaire de Paris, 11 février 2021, RG n° 19/14729