Chronique du droit de l’art : « François Duret-Robert »
François Duret-Robert nous a quittés. La presse a largement rendu compte de son travail de journaliste1. Concentrons-nous sur son œuvre de juriste, d’enseignant et mettons en exergue son impact sur le marché de l’art.
François Duret-Robert (1932-2024) a prêché la bonne parole en de multiples forums : l’École du Louvre, l’École du Patrimoine, les Universités de Dauphine, Paris I et Lyon III.
L’enseignant
Évidemment, l’aspect juridique et théorique du droit du marché de l’art était parfaitement traité, avec savoir, clarté et éloquence. Mais sa valeur ajoutée – unique et distinctive – résulte d’une connaissance intime du marché de l’art et de ses rouages, d’une mémoire encyclopédique de ses acteurs et de leurs turpitudes. Inutile de relire son ouvrage bien nommé, Les 400 coups du marteau d’ivoire, mieux valait l’écouter raconter. Ses analyses théoriques étaient ainsi nourries d’une expérience profonde des pratiques et des acteurs, acquise grâce à sa carrière de journaliste.
« François Duret-Robert était le seul à pouvoir ainsi mettre les événements en perspective. »
Un regard critique
J’entends encore ce conteur expliquer, très critique, comment les commissaires-priseurs français, premier marché du monde, se sont vu offrir la maison de ventes new-yorkaise Parke-Bernet, sur un plateau, par la banque Lazard, et ont pourtant raté l’opportunité : arrivés à l’aéroport JFK, aucun de ces officiers ministériels, franco-français, ne pouvaient commander un taxi, faute de maîtriser la langue de Shakespeare. La négociation avorta ainsi, avant même d’avoir commencé. Les conséquences pour le marché français furent majeures : Sotheby’s fit l’acquisition en 1964, devint la multinationale que nous connaissons, draina les meilleurs objets hors de l’hexagone puis… poursuivit la France devant la Commission européenne pour faire tomber le monopole, ce qui aboutit à la libéralisation du marché par la loi de 2000. François Duret-Robert était le seul à pouvoir ainsi mettre les événements en perspective.
Les acteurs du marché
Un aspect fondamental de son enseignement consistait à présenter des acteurs du marché de l’art à ses élèves, lors de rencontres passionnantes. Il les faisait parler avec gentillesse, humour et ironie : je me souviens de Bruno de Bayser expliquant le marché du dessin, de François Tajan racontant son ascension, de Bernard Steinitz décrivant son atelier de restauration… Bien souvent, ces rendez-vous étaient les premiers contacts de jeunes étudiants avec les meilleurs professionnels, leur ouvrant ainsi des perspectives. Quand il pressentait une vocation ou un talent chez un étudiant, il l’encourageait par ses conseils et des mises en contact, sans ménager son temps.
« Il avait des informateurs dans les tribunaux et les cabinets d’avocats qui lui transmettaient des décisions récentes, non publiées. »
Le juriste
Le livre Droit du marché de l’art, édité chez Dalloz, est le grand œuvre de François Duret-Robert. Si les juristes spécialisés le qualifient de « bible » et de « référence », c’est qu’il est effectivement fondamental, à plus d’un titre.
D’abord, c’est le premier sur le sujet. Sa publication initiale date de 2002. Il ouvre donc la voie d’une nouvelle matière, longtemps avant les autres.
Ensuite, il constitue une somme inégalée d’informations. Grâce à son expérience de journaliste, à sa passion et à ses contacts, François Duret-Robert recherchait, obtenait et rendait compte d’informations qu’un universitaire n’aurait pas pu traiter. Il « épluchait » le Journal des commissaires-priseurs, recueil confidentiel de décisions réservé à ces professionnels, plus précieux pour des jugements de première instance, réglant des problématiques très pratiques, que pour des arrêts de principe de la cour de Cassation, facilement accessibles. Il avait des informateurs dans les tribunaux et les cabinets d’avocats qui lui transmettaient des décisions récentes, non publiées.
Une somme essentielle
Il en résulte que son ouvrage est précieux aux yeux des juristes pour traiter de problématiques très concrètes du marché de l’art. Le professionnel commet-il une erreur inexcusable, empêchant l’annulation de la vente, s’il achète un lot mal décrit, mais sans être allé le regarder lors de son exposition ? Le descriptif de la vente doit-il indiquer qu’une bergère a été élargie en marquise ? Peut-on annuler la vente d’un tableau décrit comme une huile sur toile alors qu’il s’agit d’une huile sur papier, marouflée sur toile ?
« Enfin, même s’il est exhaustif, il révèle les préférences (on serait tenté de dire les passions) de l’auteur pour certains thèmes : les enchères, la responsabilité des professionnels et l’annulation de la vente pour erreur. »
Cet ouvrage est aussi le résultat d’un parti pris. Son titre, Droit du marché de l’art, révèle d’abord un intérêt pour le marché de l’art en particulier, plus que pour le droit de l’art en général. Ensuite, c’est un ouvrage résolument pratique, destiné à résoudre les difficultés des professionnels : experts, commissaires-priseurs, marchands… Enfin, même s’il est exhaustif, il révèle les préférences (on serait tenté de dire les passions) de l’auteur pour certains thèmes : les enchères, la responsabilité des professionnels et l’annulation de la vente pour erreur. Ce tropisme est probablement le fruit d’une longue fréquentation de l’hôtel Drouot.
L’homme de partage
En soi, collecter, structurer et partager cette somme de connaissances dans un ouvrage est généreux. Mais l’auteur allait beaucoup plus loin. Il était toujours disponible pour discuter d’un point de droit, donner un renseignement, un avis et l’accès à une source.
« Non seulement ses Chroniques désinvoltes du marché de l’art étaient lues mais elles conduisaient les professionnels à adapter leurs pratiques. »
Bien gracieusement, il vous adressait copie d’une décision non publiée. Par ailleurs, il communiquait son savoir avec les professionnels. Régulièrement, il dispensait un point d’actualité juridique aux experts de la Chambre Nationale des Experts Spécialisés (dont il était devenu membre associé).
Il prodiguait ses conseils. Non seulement ses Chroniques désinvoltes du marché de l’art étaient lues mais elles conduisaient les professionnels à adapter leurs pratiques. Grâce à ses suggestions, nombre d’experts nous ont indiqué avoir fait preuve de davantage de diligence dans l’expertise et de précision dans la rédaction de leurs notices, sécurisant ainsi les ventes d’œuvres d’art et la réputation de l’expertise à la française. Son influence était telle qu’il fut consulté par le parlement lors des réformes des ventes aux enchères.
Faire œuvre utile, que peut souhaiter de plus un homme de bien ?
Note
1 Cf. L’Objet d’Art n° 616, p. 6.