Esprits de la steppe mongole à Ensérune

Pierre à cerfs n° 20 (détail), site de Tsatsyn Ereg, Mongolie.

Pierre à cerfs n° 20 (détail), site de Tsatsyn Ereg, Mongolie. J. Magali, musée d'Anthropologie préhistorique de Monaco

En cet été 2023, c’est à partir des hauteurs de l’oppidum d’Ensérune que l’on rejoindra les steppes de Mongolie. En effet, la nouvelle exposition du musée du site archéologique gaulois nous invite à découvrir les centaines de stèles en granite érigées dans l’Altaï à l’âge du Bronze final, entre 1300 et 700 avant notre ère. Appelées « pierres à cerfs », car gravées de motifs de cervidés, elles ont été façonnées par des tribus nomades de Haute Asie – dont le premier empire des steppes et Gengis Khan seront les héritiers et dont certains traits culturels (notamment ceux liés aux pratiques équestres et à l’archerie) semblent avoir perduré jusqu’à nos jours. C’est le fruit des recherches menées depuis 2006 conjointement par les archéologues de Mongolie (de l’université nationale et de l’Académie des sciences) et l’équipe du musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco sur le site de Tsatsyn Ereg, à 500 km à l’ouest d’Oulan-Bator, qui permet de mieux saisir le quotidien de ces populations nomades, dont l’imaginaire échappe aujourd’hui à nos esprits devenus sédentaires et cartésiens…

Bouclier en bois

Ce bouclier en bois est le mieux conservé de toute la Haute Asie. Il date sans doute du IVe siècle avant notre ère mais ce type d’arme de défense a été utilisé au moins dès le VIIe siècle avant notre ère. Il est représenté sur la « pierre à cerfs » n° 20 du site de Tsatsyn Ereg, auprès de cerfs bondissant et non loin d’autres armes – comme un arc, une lame de hache en bronze, un poignard ou un crochet – représentées dans un style plus schématique que celui des animaux. La comparaison entre cette représentation et les objets découverts en fouille permet de préciser l’identité culturelle des populations qui ont érigé les stèles.

Trouvé dans la tombe gelée no 10 d’Olon Guryn Gol. Altaï, Mongolie. Culture de Pazyryk, Ier millénaire avant notre ère. 33 x 21 cm. Original conservé au musée de l’Institut d’Archéologie de l’Académie des Sciences de Mongolie.

Trouvé dans la tombe gelée no 10 d’Olon Guryn Gol. Altaï, Mongolie. Culture de Pazyryk, Ier millénaire avant notre ère. 33 x 21 cm. Original conservé au musée de l’Institut d’Archéologie de l’Académie des Sciences de Mongolie. J. Magali, musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco

Applique en bronze représentant un cheval

Cette plaque représente un cheval, les pattes repliées sous le corps, en pleine course. Des stries parallèles très marquées matérialisent les poils de la crinière et de la queue. Le cheval est le seul animal domestique représenté dans l’art des steppes. Le motif du cheval dit « au galop volant » est un motif iconographique récurrent dans l’art des steppes, de la Mongolie aux rives de la mer Noire. Cet objet a probablement été réalisé selon la technique de la fonte à la cire perdue pour être cousu sur des vêtements.

Culture des Tombes carrées, VIIe siècle avant notre ère. Trouvée lors de la campagne 2011 de la mission conjointe Monaco - Mongolie.

Culture des Tombes carrées, VIIe siècle avant notre ère. Trouvée lors de la campagne 2011 de la mission conjointe Monaco – Mongolie. J. Magali, musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco

Poignards et appliques en forme de cerfs en bronze

Les armes découvertes dans les sépultures sont le support d’une iconographie raffinée, produite grâce à des opérations très sophistiquées de moulage du bronze et imprégnée d’un bestiaire peuplé de cerfs, de bouquetins, de félins, de sangliers et de chevaux. Les pommeaux, les gardes et les lames semblent correspondre à un style scythe, comme le suggère le motif fréquent des têtes d’aigles affrontées. Si la détermination de la position primaire des « pierres à cerfs » de Mongolie a longtemps été hypothétique, les prospections récentes ont mis en évidence une association directe des stèles avec les tombes et leurs dépôts cérémoniels.

VIIe -Ve siècle avant notre ère.

VIIe -Ve siècle avant notre ère. J. Magali, musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco

Pierre à cerfs n° 20

L’exposition présente le moulage des quatre faces de cette stèle en granite, permettant de mieux comprendre l’organisation de son décor. Ce dernier est constitué de gravures de cerfs mâles, porteurs de grands bois stylisés. La hauteur moyenne de ces pierres, pesant plusieurs centaines de kilos, est d’environ 1,80 m, même si certaines peuvent dépasser les 4 m. Comme celle-ci, elles ont généralement une section rectangulaire d’environ 60 cm sur 30 cm. Si la plupart figure des animaux, des armes et des motifs géométriques, un tout petit nombre d’entre elles (environ 5 %) comporte un visage en leur sommet.

Site de Tsatsyn Ereg. Mongolie.

Site de Tsatsyn Ereg. Mongolie. J. Magali, musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco

Pierre à cerfs n° 21

Les prospectons successives menées depuis 2006 ont permis d’identifier et de cartographier 113 pierres à cerfs, 487 tombes et 3000 gravures sur rochers. La steppe et ses habitants offrent des conditions favorables à la prospection archéologique, les populations nomades ne détruisant pas les vestiges pour faire des constructions…

Site de Tsatsyn Ereg. Mongolie.

Site de Tsatsyn Ereg. Mongolie. J. Magali, musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco

Pierre à cerfs n° 35

Cette belle stèle montre particulièrement bien le mouvement des cerfs qui s’exprime selon une trajectoire hélicoïdale, la horde tournoyant vers le ciel. La parfaite gestion des espaces et des effets stylistiques entre les animaux suggère un tracé au préalable : l’emboîtement des extrémités des bois des cerfs, qui se suivent dans leur course, est le parfait exemple d’une composition qui ne peut se faire sans ébauche. La horde débute son mouvement ascendant par un cerf « tronqué » qui apparaît au bas de nombreuses stèles ; situé au-dessus d’une figure géométrique, il semble surgir du monde souterrain.

Site de Tsatsyn Ereg. Mongolie.

Site de Tsatsyn Ereg. Mongolie. J. Magali, musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco

Pierre à cerfs n° 38

Cette stèle, qui a été étudiée de près, se compose de registres superposés, figurant, de bas en haut, le monde souterrain, le monde terrestre, le monde intermédiaire, la course du soleil puis le soleil à son zénith. Au sommet du monolithe, deux cercles de tailles différentes sont gravés l’un à côté de l’autre : le plus grand semble représenter le soleil et le plus petit est interprété comme la lune. Dans le registre terrestre on identifie des arcs, carquois, boucliers, ceintures, poignards, haches et chevaux ; celui intermédiaire est uniquement fréquenté par des cerfs.

Site de Tsatsyn Ereg. Mongolie.

Site de Tsatsyn Ereg. Mongolie. J. Magali, musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco

« Esprits des steppes. Art des nomades de Mongolie », jusqu’au 17 septembre 2023 au site et musée archéologique d’Ensérune, 34440 Nissan-Lez-Ensérune. Tél. 04 67 32 60 35 et www.enserune.fr