Un objet à la loupe : énigmatiques trukatrous !

Dodécaèdre bouleté en lévitation sur des miroirs. MAN68333.

Dodécaèdre bouleté en lévitation sur des miroirs. MAN68333. © Valorie Gô, MAN

Les dodécaèdres bouletés ont majoritairement été découverts au nord des Alpes (en France, en Allemagne, en Belgique ou en Grande-Bretagne), mais aucun sur le pourtour méditerranéen (Italie, Espagne, Grèce, Égypte). Si on en dénombrait une quarantaine au début du XXe siècle, le corpus s’est depuis étoffé, au gré des publications, pour parvenir à près d’une centaine aujourd’hui. Le musée d’Archéologie nationale en conserve quatre. Acquis par l’intermédiaire des collections De Baye (en 1906), Courtot (en 1920) et Cottel (en 1952), ils sont sans contexte archéologique ni origine géographique précise. Encore récemment, ils étaient exposés dans une vitrine dédiée à la magie.

Qualifiés de bizarres, de curieux, d’énigmatiques, de mystérieux, ces objets ont fait couler beaucoup d’encre mais nous échappent toujours… Insaisissables, faut-il pour autant les ignorer ou accepter que leurs interprétations vacillent entre honnêteté scientifique et fantaisie ? Aussi, écrire sur les dodécaèdres gallo-romains tient avant tout de l’exercice de style.

Descriptif et typologie

Ces objets sont coulés dans un alliage cuivreux. Un seul spécimen en fer est connu, celui de Kenchester, en Grande-Bretagne. Ces polyèdres sont composés de douze faces pentagonales, percées chacune d’un orifice. Plusieurs de ces ouvertures peuvent avoir le même diamètre. Certains côtés sont marqués de rainures concentriques, d’ocelles, de lignes ou d’encoches. Une petite sphère surmonte chaque angle formé de la réunion de trois faces. C’est la raison pour laquelle ils sont appelés « dodécaèdres bouletés » ou « perlés ». Les points communs entre ces objets sont : les douze ouvertures ; les plus grands rayons d’ouvertures se faisant face deux à deux ; la décoration sur huit à dix faces ; et les vingt sphères sur les sommets. Mais certaines différences permettent de distinguer plusieurs types : le type 1 présente des faces décorées de trois rainures ou encoches concentriques, la plus interne entourant étroitement l’ouverture, les deux externes étant proches des bords de la face (celui présenté dans cet article est de type 1) ; le type 2 voit les faces décorées d’ocelles ; le type 3 dispose d’une décoration composée de rainures et d’ocelles (combinaison des types 1 et 2 en somme) ; le type 4 offre une ligne parallèle soulignant simplement les bords de chaque face ; enfin, sur le type 5, les bords des ouvertures et les bords de chaque face sont entaillés de sillons parallèles.

Forme symbolique ou pratique

Le dodécaèdre fait partie des cinq figures citées par Platon dans le dialogue du Timée, avec le cube, la pyramide, l’octaèdre et l’icosaèdre. D’une forme comparable à la sphère, il symbolise l’univers en rassemblant en un seul, les différents éléments (eau, air, terre et feu). Ce cinquième élément est appelé l’éther par Aristote. Parce que sa forme est symbolique, le dodécaèdre est interprété comme un objet à usage astronomique, astrologique, voire magique. La dimension pratique ne doit pas non plus être négligée. Pour certains chercheurs, il s’agit moins d’un instrument de divination que d’un jeu de hasard ou d’adresse. Moins ludique, il est vu comme un instrument de mesure géodésique, qui servirait aux arpenteurs à calculer des distances. Et, selon les cas, il est calibreur, chandelier, gabarit pour tricoter des gants…

Constructions imaginaires

Enfin, sa forme continue d’inspirer les œuvres de fiction : holocrons (Star War), sphère gallifreyan (Docteur Who), cube LeMarchand (Hellraiser), pomme d’Eden (Assassin’s Creed) et autres cristaux magiques sont les derniers avatars d’une saga d’objets inspirés ou dérivés des dodécaèdres. La culture geek puise allègrement ses sources d’inspirations dans des récits et des représentations d’un passé réel ou fantasmé, jouant sur les ressorts de la magie et du mystère. Ainsi, rien d’étonnant à ce que les dodécaèdres bouletés gallo-romains fascinent et intriguent un public habitué à l’heroïc fantasy, à la science-fiction et aux jeux vidéo car cet objet étrange lui semble familier. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Pour aller plus loin :
DUVAL P.-M., 1981, « Comment décrire les dodécaèdres gallo-romains en vue d’une étude comparée », Gallia, 39, p. 195-200. Doi : 10.3406/galia.1981.1829
GREINER B. A., 1995, « Römische Dodekaeder. Untersuchungen zur Typologie, Hestellung, Verbreitung und Funktion », Carnuntum Jahrbuch, p. 9-45.
GUILLIER G., DELAGE R. et BESOMBES P.-A., 2008, « Une fouille en bordure des thermes de Jublains (Mayenne) : enfin un dodécaèdre en contexte archéologique ! », Revue archéologique de l’Ouest [En ligne], 25. Doi : 10.4000/rao.680
NOUWEN R., 1994, « Les dodécaèdres gallo-romains ajourés et bouletés. Histoire et problèmes », Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, 56, p. 85-108.

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