900 ans d’histoire à Fontevraud (7/7). Les fouilles dans l’église abbatiale

Vue du transept de l’abbatiale actuelle de Fontevraud, avec les traces de labour ayant précédé la construction de la première église, dont on perçoit le mur nord. © B. Rousseau, Conservation du patrimoine de Maine-et-Loire
Derrière les murs de l’ancienne clôture de Fontevraud se cache un joyau de l’architecture monastique. Dans cette abbaye royale devenue redoutable prison, le visiteur attentif découvre, inscrites sur les murs de tuffeau, les traces de 900 ans d’histoire. À l’occasion de l’anniversaire de la naissance de sa plus célèbre pensionnaire, Aliénor d’Aquitaine (1124-1204), et de quarante années d’opérations archéologiques menées depuis 1983, Archéologia revient sur l’histoire mille-feuilles de ce lieu et des fouilles qui ont permis de mieux le comprendre.
Les auteurs de ce dossier sont : Nicolas Dupont, conservateur du patrimoine à l’abbaye royale de Fontevraud, et coordinateur du dossier ; Martin Aurell, professeur d’histoire médiévale à l’université de Poitiers, ancien directeur du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale ; Florian Stalder, conservateur départemental des musées de Maine-et-Loire ; Jean-Yves Hunot, Pôle archéologie, Conservation du patrimoine de Maine-et-Loire, CReAAH – UMR 6566 ; Daniel Prigent, conservateur honoraire du patrimoine
Plan de l’église abbatiale de Fontevraud, avec ses divers aménagements. © D. Prigent, J.-Y. Hunot, Pôle archéologie, Conservation du patrimoine de Maine-et-Loire
Du début du XIXe siècle à son abandon en 1963, la prison a considérablement remanié l’abbaye et notamment l’ancienne église : la nécessité d’espaces pour les dortoirs et les ateliers a conduit à supprimer la file de coupoles et à mutiler certaines sculptures, afin de créer cinq niveaux dans la nef. En revanche, la conversion du chœur en chapelle l’a peu transformée. L’édifice fait l’objet depuis les années 1980 de fouilles archéologiques classiques, mais aussi d’une analyse approfondie de sa construction, qui ont permis de renouveler son histoire.
La première découverte majeure a été celle d’une église antérieure à l’actuelle et datant des premières années du XIIe siècle. Son chevet comprend un chœur encadré de deux chapelles orientées, succédant à une nef unique arasée ; il recoupe par ailleurs des traces de labours, vraisemblablement antérieurs à l’installation de la communauté fontevriste. Sa construction semble avoir été rapidement interrompue.
D’une église à l’autre
En effet, face à l’afflux de postulants, tant hommes que femmes, et sans doute confronté à l’insistante requête de moniales d’origine aristocratique, Robert d’Abrisel se voit contraint d’édifier un monastère, l’un des plus imposants d’Europe, pouvant remplacer les premières installations sommaires. L’église abbatiale, qui supplée rapidement au monument originel, est ainsi d’une tout autre ampleur. L’évolution de sa construction a pu être restituée grâce au suivi des restaurations achevées en 2024. Les observations usuelles d’archéologie du bâti ont été complétées par l’examen métrologique de l’appareil ainsi que par l’analyse granulométrique de plus de 2 000 mortiers, offrant une très fine distinction des différentes étapes du monument.
Une série de quatre campagnes
L’hypothèse d’un chevet sobre et lumineux auquel suit, dans un second jet, une nef à file de coupoles plus chargée et moins éclairée, a fait place à celle d’une série de quatre campagnes principales, chacune pouvant être décomposée en différentes phases, dont on ne peut ici que mentionner brièvement l’évolution. La première, engagée vers 1105-1110, concerne la plus grande partie inférieure du chevet, ainsi que l’emprise de la nef unique ; le bras sud du transept est en revanche partiellement monté indépendamment, en même temps que l’aile est du cloître. La partie haute du chevet est plus homogène. Le voûtement de la nef par une file de coupoles intervient ultérieurement et, là encore, plusieurs étapes ont pu être mises en évidence. La construction s’achève vers le milieu du siècle par l’imposant clocher dont le beffroi actuel ne date que du XIIIe siècle.
Axonométrie du chevet de l’abbatiale de Fontevraud, où apparaissent les quatre campagnes du XIIe siècle. © D. Prigent, Pôle archéologie, Conservation du patrimoine de Maine- et-Loire
Lexique
En architecture, un appareil est la façon dont les pierres de taille sont assemblées dans la maçonnerie.
Des sculptures enfouies dans une fosse
Dans l’édifice médiéval le chœur et le bras nord du transept sont réservés aux frères-prêtres du prieuré de Saint-Jean-de-l’Habit. C’est là que repose la dépouille de Robert d’Abrissel. Dans la nef, une clôture sépare un espace occidental limité concédé aux laïcs, du chœur des religieuses, occupant une large partie de ce vaste espace, ainsi que le bras sud du transept. Quatre larges fosses constituaient vraisemblablement les fondations d’une clôture, sur laquelle s’appuyait un ensemble de sculptures. Enfouies dans une fosse au sud du chevet, elles appartenaient à un Jugement dernier mentionné dans un texte relatant le passage en 1199 de Jean sans Terre à Fontevraud, à la suite du décès de son frère Richard Ier Cœur de Lion.
Empreintes modernes
Les tombes médiévales sont peu nombreuses mais pour certaines d’un intérêt avéré. Si celles des souverains plantagenêts avaient été disposées dans le prestigieux chœur des religieuses, non loin de la croisée, leurs restes furent déplacés dans un caveau creusé par l’abbesse Jeanne-Baptiste de Bourbon en 1638 pour accueillir sa sépulture et celle de ses successeurs. L’état satisfaisant des cercueils modernes a aussi permis de souligner que, même pour les élites, ils ne constituaient qu’une simple caisse de bois d’essences et de qualités diverses, conservant parfois les traces de sciage, l’élément important lors de la cérémonie des funérailles étant le drap mortuaire. L’étude anthropologique et paléopathologique indique la présence d’hommes de femmes (ainsi que de quelques enfants) dont plusieurs avec des pathologies lourdes dues à un âge avancé. Les abbesses de l’époque moderne laissent aussi leur empreinte ; dès 1504 le sol de la nef est surélevé de 1,2 m, et une grille sépare strictement frères-prêtres et religieuses à l’entrée de la croisée. Divers travaux d’aménagements ont aussi été mis en évidence : modification des circulations, fondations d’un escalier monumental menant au dortoir dans le bras sud du transept, transformation de la piscine liturgique et fondation d’autels, traduisant des changements dans l’organisation complexe des divers espaces de l’abbatiale.
Sommaire
900 ans d’histoire à Fontevraud
Pour aller plus loin :
FONTEVRAUD : L’Abbaye royale, 303 arts, recherches, créations, hors-série, 180, avril 2024.
AURELL M., 2024, Aliénor d’Aquitaine : souveraine femme, Paris, Flammarion.
DALARUN J., 1986, Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud, Paris, Albin Michel.
DUPONT N., STALDER F., 2024, Le cimetière des rois, histoire de femmes de pouvoir, Fontevraud, éditions Abbaye royale de Fontevraud.
MELOT M., 2022, Histoire de l’abbaye de Fontevraud. Notre-Dame-des-Pleurs (1101-1793), Paris, CNRS éditions.
PRIGENT D., 2023, Fontevraud, l’abbaye royale, Fontevraud, Abbaye royale de Fontevraud, 3e éd. revue.
PRIGENT D., 2017, « Fontevraud, aux premiers temps d’une communauté », éditions Faton, Dossiers d’Archéologie, n° 381, p. 54-59.
PRIGENT D., 2023, « L’organisation spatiale au sein du complexe monastique de Fontevraud (XVIe‑XVIIIe siècle) », dans BAUD A. et RAUWEL A. (dir.), Espaces monastiques au féminin, Avignon, Éditions Marion Charlet, p. 194-207.