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L’édito de Jeanne Faton : « Le Joker au pouvoir »

Détail de la fausse couverture du Times, rebaptisée Trump, publiée sur X et Instagram.

Détail de la fausse couverture du Times, rebaptisée Trump, publiée sur X et Instagram. © D.R.

Chère lectrice, cher lecteur,

En moins de deux ans, les passionnés d’histoire ont pu assister en direct à la télévision à deux événements historiques, le couronnement de Charles III et de Camilla, le 6 mai 2023, et l’investiture de Donald Trump, le 24 janvier 2025.

Le premier, sous les voûtes de Westminster, célébrait tout le faste de la vieille Europe, avec ses ors, ses capes d’hermine et ses carrosses tirés par huit chevaux. C’était aussi le symbole d’une monarchie constitutionnelle éclairée.

Portrait du président en souverain

Le second, moins chic, mais tout aussi instructif dans son déroulement, consacrait l’élection du 47e président des États-Unis, la plus grande démocratie au monde. Moins d’un mois plus tard, pourtant, le 19 février, sur son réseau Social Truth, le nouveau président signait un de ses innombrables posts « Long Live the King », et publiait, avec le même slogan, sur X et Instagram, une fausse couverture du Times, rebaptisée Trump, le montrant coiffé d’une couronne. Avant, ce roi de simulacre avait diffusé une image de lui en chef d’orchestre dirigeant les musiciens du Kennedy Center à Washington dont il venait de destituer le président, pour en prendre lui-même la direction et remettre dans le bon chemin une institution culturelle jugée trop woke et osant présenter des spectacles de drag queens. Le tollé déclenché par cette auto-nomination entraîna l’annulation immédiate de leurs concerts par les artistes devant se produire au Kennedy Center, stars rock et pop comme divas de l’opéra, telle la soprano Renée Fleming – qui n’a pourtant rien d’une drag queen.

La fausse couverture du Times, rebaptisée Trump, publiée sur X et Instagram.

La fausse couverture du Times, rebaptisée Trump, publiée sur X et Instagram. © D.R.

L’architecture fédérale selon Trump

Avant encore, au lendemain de son investiture, le lointain successeur de George Washington proclamait un décret1, l’un des cent premiers qu’il ait pris, pour que l’architecture fédérale américaine obéisse désormais à une esthétique néoclassique qui la rende visuellement identifiable et « belle » à nouveau et que soit révisée la charte de 1962 qui en fixait les principes. Cette charte se trouve sur le site de l’administration des services généraux des États-Unis (gsa.gov). Ses directives sont au nombre de trois :

– Offrir toutes les facilités d’usage nécessaires dans une forme et un style reflétant la dignité, la capacité d’entreprendre, la vigueur et la stabilité du gouvernement américain et le meilleur de la pensée architecturale contemporaine. Refléter aussi, si possible, la spécificité des traditions architecturales régionales et concevoir des immeubles peu coûteux à construire et à entretenir.

– Éviter le développement d’un style officiel et faire en sorte que le dessin et la conception des immeubles émanent de la profession des architectes et non du gouvernement. Ce dernier devant être prêt, si besoin, à payer un coût additionnel pour éviter une uniformité excessive de ses bâtiments fédéraux.

– Porter une attention particulière à l’urbanisme environnant, avec une localisation permettant de grands espaces verts.

Gilbert Stuart (1755-1828), George Washington (Landsdowne Portrait), 1796. Huile sur toile, 247,6 x 158,7 cm. Washington, Smithsonian‘s National Portrait Gallery.

Gilbert Stuart (1755-1828), George Washington (Landsdowne Portrait), 1796. Huile sur toile, 247,6 x 158,7 cm. Washington, Smithsonian‘s National Portrait Gallery. Photo CC0 / Smithsonian‘s National Portrait Gallery, Washington

Art et idéologie politique

La question de la beauté en art est un vaste sujet, débattu par théoriciens et philosophes depuis l’Antiquité. La stigmatisation d’un art laid ou « dégénéré », car trop foisonnant pour obéir à une idéologie politique, a toujours été le fruit d’États totalitaires, la Russie stalinienne, par exemple, ou l’Allemagne hitlérienne, celle-là même qui fit fermer en 1933 l’école du Bauhaus, contraignant ses professeurs et artistes à émigrer aux États-Unis. Mies van der Rohe, son dernier directeur, y emporta avec lui des idées modernistes et avant-gardistes, creuset de la créativité de l’architecture américaine du XXe siècle, honnie aujourd’hui par Donald Trump.

Quand il ne se déguise pas en chef d’orchestre ou ne s’affuble pas d’une couronne de pacotille, où il ne lui manque plus que du fard blanc et des lèvres outrées pour ressembler au Joker, l’ennemi juré de Batman, le nouveau Rigoletto de l’Amérique arbore une casquette rouge bien réelle, marquée du slogan Make America Great Again

On lit dans le New York Times qu’il envisagerait de remplacer la programmation du Kennedy Center par de la musique country.

Une accumulation de symptômes inquiétants

Si les excès du wokisme venus d’outre-Atlantique ont offert une lecture biaisée et caricaturale de l’histoire de l’art, la volonté du 47e président des États-Unis de trier le bon grain de l’ivraie artistique, mêlée sans autre discernement à celle de revenir aux pailles en plastique et d’interdire les chasses d’eau à flux modéré, s’ajoute à une liste d’autres symptômes inquiétants : revendication d’un espace vital passant par l’annexion de pays voisins, propagande de masse et manipulation de l’opinion publique, purges au sommet de l’État, stigmatisation des minorités, déportation d’émigrés illégaux dans des camps sommaires, au Panama, par exemple, à la lisière de la jungle…

Heureusement l’Amérique reste encore un grand pays, où l’initiative individuelle peut contrebalancer les excès d’un pouvoir obscur et où demeurent des collectionneurs éclairés, tel Jeffrey Horvitz, qui vient de donner à l’Art Institute de Chicago sa collection d’art français : quelque 2 000 dessins, 200 peintures et 50 sculptures…

Chère lectrice, cher lecteur, bonne lecture de votre nouvel Objet d’Art, loin de la fureur du monde.

Note

1 « Promoting Beautiful Federal Civic Architecture ».