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Laurie Archambault : marbrure, reliure et papeterie

Démonstration de marbrure durant un atelier Wecandoo : le motif Hatip Ebru se dessine à la surface du bain.

Démonstration de marbrure durant un atelier Wecandoo : le motif Hatip Ebru se dessine à la surface du bain. © Marion Saupin

Formée à l’École Estienne, Laurie Archambault a rapidement découvert son attrait pour le papier… sous toutes ses formes : marbrure bien sûr, mais aussi reliure, confection de carnets, pliage. Elle a ouvert le champ de son usage au-delà du livre en participant à des projets proposés par exemple par le Mobilier national. Une belle manière de vivre de son art, sans oublier la transmission de ses savoir-faire.

Sous son apparence frêle et réservée, Laurie Archambault cache une grande force de caractère et une farouche volonté d’avancer comme elle l’entend dans son métier. En 2012, elle lance Laurie&LesPetitesMains, sa marque de création de papeterie artisanale et de bijoux. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle a choisi ce nom, elle répond qu’elle veut rendre hommage à toutes les petites mains d’artisans qui œuvrent dans l’ombre depuis des siècles et aussi, comme ses activités sont multiples, parce qu’elle n’a parfois pas assez de ses deux mains pour mener à bien tous ses projets.

Portrait de Laurie Archambault devant son atelier Laurie&LesPetitesMains, 8-10 rue Duchefdelaville, 75013 Paris.

Portrait de Laurie Archambault devant son atelier Laurie&LesPetitesMains, 8-10 rue Duchefdelaville, 75013 Paris. © Laurie Archambault

Découverte du papier marbré avec Marianne Peter

Laurie Archambault est une Parisienne du 13e arrondissement et, lorsqu’elle se rend aux portes ouvertes de l’École Estienne en 2004, c’est avant tout parce qu’il s’agit d’un lycée de secteur. Elle tombe immédiatement sous le charme : à une époque où elle est un peu perdue, tout lui paraît inspirant dans cette école du livre et elle se dit que c’est là qu’elle va trouver ce qu’elle cherche. D’un tempérament curieux, elle s’adapte facilement au programme du bac Arts appliqués. Patiemment, croquis après croquis, elle apprend à dessiner. Les débuts sont difficiles, mais les objets prennent peu à peu forme sur la feuille : « J’ai compris que, grâce à la pratique, on pouvait aller plus loin et approfondir. Cela m’a rassurée. » Elle s’initie à l’illustration, la typographie, la gravure, la reliure, la dorure, et découvre la marbrure lors d’un workshop avec Marianne Peter. « Je l’ai beaucoup questionnée sur son parcours et j’ai découvert qu’apprendre ce métier est difficile car il n’y a pas de formation spécifique. »

Démonstration de marbrure dans l’atelier de Laurie Archambault : le motif est prêt à être transféré.

Démonstration de marbrure dans l’atelier de Laurie Archambault : le motif est prêt à être transféré. © Marion Saupin

Diplômée des métiers d’art en reliure-dorure

Après son bac, elle intègre le Diplôme des métiers d’art (DMA) en Reliure/dorure, qu’elle obtient en 2011. « C’est le côté technique et la matière qui m’intéressent. J’aime qu’il y ait de la découpe, du collage, du volume et de la diversité. On passe par des étapes de recherches, de maquettes, de prototypages, il faut lire, se nourrir, prendre position, argumenter, faire et être autonome J’ai aussi réalisé que l’on peut travailler dans l’urgence et donner le meilleur de soi. J’ai retrouvé cela dans mon parcours professionnel. »
Durant son DMA, Laurie développe un goût certain pour le travail du cuir, matériau essentiel dans la formation et, pourtant, elle est déjà attirée par le papier. Elle en accumule de toutes sortes, sans savoir encore ce qu’elle pourra en faire. Elle découvre ceux d’Adeline Klam, avec lesquels elle travaille encore aujourd’hui. Elle teste, crée de petites architectures, des tissages de papiers…

Origamis modulaires

Avec ses frères et sa sœur, elle s’amuse à faire du pliage et, ensemble, ils imaginent une composition inspirée des origamis modulaires japonais, même s’ils sont habituellement de plus grand format. Leur défi va consister à créer une petite structure avec des chutes de papier. C’est ainsi que la fabrication de boucles d’oreilles voit le jour : « J’ai rapidement développé des prototypes pour mes proches, explique Laurie. Auparavant, j’étais hermétique aux mathématiques car je n’avais pas pu les appliquer à du concret. J’ai réussi dès ce moment à me lancer dans des calculs d’épaisseur très précis car mes boucles d’oreilles sont constituées de modules pliés et emboîtés les uns dans les autres pour former un bijou à six faces. Le volume donne une vision très différente du papier grâce aux encres et aux textures. J’ai réalisé que je n’aurai jamais ce rapport à la matière avec le cuir. On peut tout faire avec le papier : imprimer, tisser, teindre dans la masse… »

Boucles d’oreilles Voie lactée, composées de 6 modules pliés et assemblés. Papier sérigraphié et traité à la gomme arabique.

Boucles d’oreilles Voie lactée, composées de 6 modules pliés et assemblés. Papier sérigraphié et traité à la gomme arabique. © Laurie Archambault

L’aventure Arjowiggins

En 2015, le papetier Arjowiggins lui passe une commande de 150 paires de boucles d’oreilles, puis de 300, puis de 500, à réaliser avec des papiers de sa gamme comme cadeaux d’entreprise à ses clients. C’est un gros défi, tant par le type de papier utilisé que par le volume de la commande. Il y aura 1 500 paires de boucles fabriquées par Laurie&LesPetitesMains et des commandes étalées jusqu’en 2017. Laurie participe régulièrement à des salons d’artisans professionnels soigneusement sélectionnés, venus de toute la France et produisant des créations en petites séries, à la main. « Mon but, avec les bijoux que je fabriquais, était de mettre le papier en lumière afin que le public comprenne que, lorsqu’il était plié plusieurs fois (souvent huit) pour créer un volume, il devenait incroyablement solide, sans collage. Je n’ai eu de cesse de sensibiliser les gens aux qualités du papier durant ces salons. Plus j’en parlais, plus j’étais convaincue qu’il était devenu mon matériau de prédilection. » Dans le même temps, elle crée son site Internet qui lui permet de vendre en ligne sa collection de bijoux ainsi que des carnets reliés, des boîtes et des objets de papeterie.

Modules de pliages, commande Arjowiggins, 2013.

Modules de pliages, commande Arjowiggins, 2013. © Laurie Archambault

Premiers travaux professionnels de reliure

Lors de la présentation de son projet de DMA, en juin 2011, elle est approchée par un libraire d’ancien qui lui offre l’occasion de réaliser ses premiers travaux professionnels de reliure. À la même période, elle intègre la Mention complémentaire « Entretien des collections du patrimoine » au lycée professionnel Tolbiac. Cette formation diplômante lui ouvre les portes de lieux institutionnels (musée de l’Homme, Muséum national d’histoire naturelle, archives du ministère de l’Intérieur…) où elle effectue de nombreuses missions. Le site Internet et l’ouverture de son atelier lui donnent une visibilité qui lui amène une clientèle de particuliers, plutôt attirés par la reliure traditionnelle. Sensible aux structures souples et légères en papier, elle séduit aussi ses clients en proposant des reliures réalisées avec sa collection de papiers en tous genres.

Restauration de cartonnages industriels du XIXe siècle, collection privée.

Restauration de cartonnages industriels du XIXe siècle, collection privée. © Laurie Archambault

« Sensible aux structures souples et légères en papier, elle séduit aussi ses clients en proposant des reliures réalisées avec sa collection de papiers en tous genres. »

Bind Bend Bond

Elle pratique également la dorure pour des pièces de titre ou des motifs simples. Enfin, depuis fin 2023, elle fait partie d’une « collective » appelée Bind Bend Bond composée d’artistes du livre dont le but est de mettre en commun leurs ressources professionnelles et de promouvoir le travail du livre. Une occasion pour Laurie de présenter la reliure de création et de l’associer à ses recherches autour de la marbrure.

Collections de papeterie de luxe

Entre 2012 et 2016, elle cumule son travail de créatrice indépendante, les salons, des missions dans différentes institutions ou des librairies anciennes et la vente en ligne. Celle-ci lui apporte des demandes dans le domaine du luxe, et aussi de particuliers pour des albums, des livres d’or… En 2017, elle a présenté au Bon Marché des carnets en papier, en cuir, ainsi qu’une nouvelle collection de papeterie qu’elle a développée avec des plats en bois gravés et découpés au laser. Depuis 2018, elle travaille notamment pour un hôtel du groupe Marriott Courtyard et fabrique des carnets personnalisés aux motifs inspirés par la façade.Cette diversité va lui permettre d’élargir son champ de compétences, de créer des contacts dans de nombreux domaines, la confortant dans ses choix professionnels.

Collection de papeterie présentée au Bon Marché en 2017.

Collection de papeterie présentée au Bon Marché en 2017. © Laurie Archambault

Voyage au Japon

En 2018, elle part au Japon pour visiter des ateliers, accompagnée du Japan Paper Tour de la relieuse Julie Auzillon. Grâce à ce guide, elle va rencontrer des papetiers et découvrir comment sont fabriqués et imprimés les papiers avec lesquels elle travaille depuis plusieurs années. Elle côtoie également un artisan spécialisé dans l’orizomégami qui lui explique comment fabriquer ses pigments et réaliser ses pliages. Bref, elle baigne dans un univers 100 % papier. Une de ses créations a d’ailleurs été retenue par Julie Auzillon pour son livre Le Tour du monde des papiers, publié à l’automne 2024 aux éditions Pyramyd.

Le Covid et les kits reliure

Comme pour de nombreux artisans, le Covid marque un arrêt brutal de son activité et une perte de revenus. Le confinement génère l’ennui et il lui faut absolument trouver un nouveau moyen de gagner sa vie. Elle crée des kits d’initiation à la reliure qu’elle vend en ligne via son site Internet, composés de croquis, de dessins qu’elle a numérisés et de textes explicatifs sous forme de tutoriels. À l’intérieur du kit, il y a aussi du fil, une aiguille, des cahiers grecqués, le papier de couverture choisi sur le site, et les acheteurs choisissent leur format. Elle lance un premier tirage de 300 exemplaires. Ces kits sont un réel succès et elle va prochainement lancer la quatrième édition.

Lancement du kit DIY (Do It Yourself) en 2018-2019.

Lancement du kit DIY (Do It Yourself) en 2018-2019. © Laurie Archambault

Nouvel atelier Laurie&LesPetitesMains

Après le second confinement, de nombreux locaux sont vides, délaissés par des Parisiens qui ont fui la capitale et ses loyers élevés. La Ville lui propose un local près de la Bibliothèque nationale de France – petit mais au loyer correct – et, en mars 2021, elle ouvre son atelier dans son quartier de prédilection. Une nouvelle fois, elle retrousse ses manches et, avec son énergie habituelle, elle peint, ponce, coupe pour décorer sa devanture et aménager l’intérieur de son espace. « Tout dans mon atelier est de seconde main, les tiroirs, les tréteaux, les étagères. Du mobilier récupéré sur le trottoir, poncé, repeint auquel j’ai redonné une deuxième vie. » Cette visibilité facilite de nouvelles rencontres et relations qui vont susciter des commandes.

Baris et la marbrure

Né en Turquie, Baris Baykul Yilmaz y a appris la marbrure auprès d’un maître artisan spécialiste de l’art ebru – mot signifiant nuages en persan – qui lui a transmis son savoir-faire, très différent de ceux de l’Europe de l’Ouest et du Japon. L’ebru est inscrit depuis 2014 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Un jour de 2021, Baris invite Laurie dans son atelier pour lui montrer son travail. Il souhaite que ses papiers soient proposés dans la boutique de la jeune femme. De son côté, elle pense lui acheter des papiers pour ses reliures. Puis il l’invite à des démonstrations de marbrure, lui donne des indications, des conseils sur le rythme, le travail en musique. Ne pas voir ce qui se passe mais le ressentir. « C’est une approche sensible qui me parle. Il y a une lenteur dans la préparation, le broyage des pigments qui me séduisent et me correspondent, moi que l’on surnommait l’escargot lorsque j’étais enfant. Il m’a montré toutes ses recettes et j’ai compris qu’il y avait du travail, de la technique, tout est beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît. J’aime me frotter à cette subtilité et aux difficultés que cela engendre et j’ai passé de plus en plus de temps avec Baris. »

Créations et tests de motifs pour des marques de luxe. De haut en bas, motifs : peigne chevron caillouté ; caillouté double passage ; peigne châle double passage ; peigne large.

Créations et tests de motifs pour des marques de luxe. De haut en bas, motifs : peigne chevron caillouté ; caillouté double passage ; peigne châle double passage ; peigne large. © Laurie Archambault

« La marbrure, c’est magique, c’est une technique qui est généreuse et toujours satisfaisante. Lorsque l’on soulève sa feuille, c’est un coup de foudre instantané. »

Les ateliers Wecandoo

C’est au moment où il lui propose de lui céder son local et de reprendre la suite de son activité que sa santé décline. Il veut arrêter, tout fermer car il est trop fatigué. Laurie suggère de prendre en charge les ateliers Wecandoo pour lesquels il y a une longue liste d’attente. Il s’agit d’un site regroupant des artisans qui animent des ateliers dans toute la France pour s’initier à une pratique artisanale. Elle a un peu pratiqué en 2016, au moment du lancement de cette plateforme, a déjà fait de l’animation, sait fabriquer la gomme et broyer les pigments. Elle se lance en novembre 2021 et va diriger des ateliers sept jours sur sept. Le public est composé de particuliers, de professionnels, de familles, de relieurs, d’encadreurs. « C’est riche et éclectique. Ce sont souvent des cadeaux, les gens sont contents et viennent totalement détendus. La marbrure, c’est magique, c’est une technique qui est généreuse et toujours satisfaisante. Lorsque l’on soulève sa feuille, c’est un coup de foudre instantané. C’est ce que j’avais ressenti en voyant Marianne Peter travailler. Avec le coup de foudre, tout est possible. » Les gens s’inscrivent à nouveau et reviennent. Elle reçoit environ 300 personnes en quelques mois. C’est beaucoup de travail et beaucoup d’énergie, mais Baris est content car il voit que le lieu vit et sa technique aussi. Leur relation va se renforcer et il poursuit la transmission de son savoir et de ses contacts. Elle assure également des cours du soir à l’Amicale laïque de Cachan et devient formatrice au Greta en septembre 2022.

Démonstration de marbrure durant un atelier Wecandoo : le motif est transféré sur son support papier.

Démonstration de marbrure durant un atelier Wecandoo : le motif est transféré sur son support papier. © Marion Saupin.

L’après Baris

Baris décède en juin 2023 et Laurie anime toujours les ateliers de marbrure. Les mois passent et elle ne peut plus continuer à ce rythme entre les deux lieux, il faut envisager une nouvelle organisation. « Il y avait une inspiration et une empreinte très fortes dans l’atelier de Baris, mais ce qu’il m’a transmis, c’est avant tout sa technique. Il m’a fallu huit mois pour me dire que j’allais retrouver cet état d’esprit et cette atmosphère dans mon propre espace. » Fin mars 2024, elle quitte définitivement le 20e arrondissement et installe un espace marbrure dans son atelier pouvant accueillir quatre personnes. Elle y crée ses papiers et propose des initiations, donne également des cours particuliers et collectifs. Une à deux fois par an, elle se rend aussi à l’École Estienne pour animer un atelier auprès d’étudiants de DN MADe (Diplôme national des métiers d’art et du design).
Par ailleurs, elle poursuit ses collaborations avec d’autres artistes : designers textile, maroquiniers, créateurs de céramiques, d’éventails, de luminaires… En février 2024, elle a travaillé sur le projet de « Meuble aliéné » du Mobilier national avec Tony Jouanneau, lauréat 2023 de la Villa Kujoyama. Il s’agissait de restaurer un plafonnier Empire dont il ne restait que le cerclage de bronze. Elle a réalisé un motif « caillouté » sur textile de soie, gainé sur une structure en carton bois. Dans son atelier-boutique, la reliure traditionnelle est toujours bien présente et elle vend également du matériel de seconde main.

Fabrication des encres traditionnelles ebru. Ici un bleu outremer obtenu à partir de pigments broyés.

Fabrication des encres traditionnelles ebru. Ici un bleu outremer obtenu à partir de pigments broyés. © Ibo Ogretmen.

Boucler la boucle

Il y a quelques mois, une femme frappe à la porte de l’atelier de Laurie qui la reconnaît immédiatement. C’est Marianne Peter. De passage dans le quartier, elle s’arrête devant la vitrine : « Je connais ces papiers, ce sont ceux de Baris », s’exclame-t-elle. « C’est le plus beau compliment qu’elle pouvait me faire, car ce n’était pas ceux de Baris mais les miens. J’étais ravie de revoir Marianne et je lui ai parlé de notre rencontre en 2005. C’était très lointain pour elle mais je l’ai remerciée d’avoir semé cette petite graine qui a pris le temps de grandir, d’éclore au Japon et de s’épanouir grâce à Baris. » Laurie continue de tracer son sillon avec une énergie débordante, une combinaison de volonté et de talent et des projets toujours plus ambitieux. Elle convertit les épreuves en chance, en allant toujours de l’avant, gagnant ainsi de la force dans l’adversité, apprenant à s’adapter aux changements qui l’ont rendue curieuse, tenace et optimiste.

Laurie Archambault à l’œuvre devant le bac de marbrure, 2021.

Laurie Archambault à l’œuvre devant le bac de marbrure, 2021. © Baris Baykul Yilmaz.

Laurie Archambault, Laurie&LesPetitesMains, 8-10, rue Duchefdelaville, 75013 Paris. Tél. : 06 14 59 49 84, courriel : contact@laurie-et-lespetitesmains.fr, sites Internet : laurie-et-lespetitesmains.fr, bindbendbond.com, instagram.com/lespetitesmains