Quand la Régence illuminait Paris

Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), Comédiens italiens dans un parc, vers 1719. Huile sur toile, 63,5 x 80 cm. Collection particulière.

Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), Comédiens italiens dans un parc, vers 1719. Huile sur toile, 63,5 x 80 cm. Collection particulière. Photo service de presse. © Stéphane Briolant

« La Régence est tout un siècle en huit années », résumait l’historien Jules Michelet. Le musée Carnavalet redonne vie à grand renfort de peintures, sculptures, dessins, éléments de décors, objets d’art et documents d’archives à cette décennie effervescente qui prépara l’avènement des Lumières.

1er septembre 1715. Le trop vieux Roi-Soleil s’éteint, offrant son trône à un arrière-petit-fils trop jeune qui, du haut de ses cinq ans, est le seul de ses héritiers à lui avoir survécu. Dans l’attente de sa majorité, le pouvoir est exercé par Philippe d’Orléans, prince éclairé que son oncle tenait en piètre estime. Préférant la ville à la Cour et Paris à Versailles, il déplace le gouvernement dans la capitale. Pouvoir politique et pouvoir culturel y cohabiteront pour quelques années dans une joyeuse effervescence où se mêlent scandales et conspirations sur fond de libertinage et de diffusion d’idées nouvelles, favorisées par la multiplication des salons et des cafés.

Anonyme français, Philippe, duc d’Orléans, régent de France (1674-1723), représenté dans son cabinet de travail avec son fils le duc de Chartres, vers 1715. Huile sur toile, 103 x 138 cm. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.

Anonyme français, Philippe, duc d’Orléans, régent de France (1674-1723), représenté dans son cabinet de travail avec son fils le duc de Chartres, vers 1715. Huile sur toile, 103 x 138 cm. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Fouin

Grandeur et décadence du « système »

Après avoir réglé la crise politique suscitée par l’ambigu testament du monarque, il s’agit désormais pour le nouvel homme fort du royaume de redresser les finances de l’État, lourdement endetté par les guerres de Louis XIV à hauteur de plusieurs milliards de livres. Libéral, le Régent soutient l’ambitieux projet politico-financier de l’Écossais John Law qui aboutit à la création du papier-monnaie. La spéculation effrénée qu’il suscite fera naître d’invraisemblables fortunes avant qu’une banqueroute retentissante n’emporte le « système » à l’été 1720, ruinant nombre d’investisseurs, à l’image du peintre Claude Gillot, maître de Watteau.

Bernard Picart (1673-1733), Monument consacré à la postérité en mémoire de la folie incroyable de la XXe année du XVIIIe siècle, 1720. Estampe, 25,9 x 27,8 cm. Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris.

Bernard Picart (1673-1733), Monument consacré à la postérité en mémoire de la folie incroyable de la XXe année du XVIIIe siècle, 1720. Estampe, 25,9 x 27,8 cm. Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris. Photo service de presse. CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Fièvre architecturale

En 1716 paraît Curiosités de Paris, le tout premier guide entièrement dédié à la capitale, deuxième ville d’Europe désormais considérée comme une « nouvelle Rome ». C’est à cette époque que sortent de terre plusieurs hôtels particuliers aujourd’hui emblématiques de notre République, au cœur de quartiers alors en pleine expansion : faubourg Saint-Honoré, l’hôtel d’Évreux, actuel palais de l’Élysée (1718-1720), faubourg Saint-Germain, l’hôtel de Matignon (1722-1724), ou encore le Palais-Bourbon et l’hôtel de Lassay (1722-1728). Si l’architecture privée connaît en ce temps une véritable fièvre, vraisemblablement favorisée par l’expérience du système de Law, la commande publique se révèle de son côté moins significative. Bien qu’il ait fait de la capi-tale sa résidence principale, le Régent ne dispose guère des finances nécessaires au lancement de chantiers de vaste ampleur : seul celui du château d’eau qui en face du Palais-Royal garde l’opéra des incendies sera conduit à son terme (1714-1719). On lui doit également en 1716 la mise en place d’un étonnant pont tournant à l’extrémité ouest du jardin des Tuileries.

Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), Le Petit Pont après l’incendie, 1718. Huile sur toile, 52 x 64 cm. Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris.

Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), Le Petit Pont après l’incendie, 1718. Huile sur toile, 52 x 64 cm. Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris. Photo service de presse. CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Les arts décoratifs au sommet

Cette frénésie architecturale trouve son pendant dans le décor intérieur. Une remarquable sélection de mobilier et d’objets d’art donne à voir dans l’exposition le véritable âge d’or des arts décoratifs que constitue la Régence (voir pages précédentes). On y admirera d’abord l’importante Pendule d’Hercule et Atlas, vraisemblablement exécutée en 1712 pour Claude Le Bas de Montargis, trésorier de l’extraordinaire des guerres, par Boulle et l’horloger Thuret, d’après les dessins d’Oppenord ; l’opulent miroir de toilette de la duchesse de Lorraine, sœur du Régent, judicieusement acquis en 2021 par le château de Lunéville auprès de la galerie Steinitz (1718) ; ou encore la riche console aux chimères probablement exécutée vers 1720 par François Roumier et conservée en collection particulière, que le catalogue propose de rapprocher d’un hôtel de l’île Saint-Louis en raison de sa proximité stylistique avec le balcon de l’avant-corps sur rue.

Console aux chimères attribuée à François Roumier (1701-1748), Paris, vers 1720. Collection privée.

Console aux chimères attribuée à François Roumier (1701-1748), Paris, vers 1720. Collection privée. Photo service de presse. © Studio Sebert

Quand triomphaient Watteau et Marivaux

Préférant l’opéra à la chasse, Philippe d’Orléans est un prince artiste, élève d’Antoine Coypel et musicien accompli. Un mois après la disparition de son oncle, les rideaux s’ouvrent à nouveau sur les spectacles de la capitale. Alors que Marivaux connaît ses premiers succès, le jeune Louis XV, marchant brièvement sur les traces de son aïeul, s’essaie au ballet dans Les Folies de Cardenio, donné aux Tuileries en 1720 d’après un livret de Charles-Antoine Coypel. En peinture, la Régence correspond à l’avènement d’Antoine Watteau, qui en mettant en scène comédiens italiens, musiciens et amours pastorales apparaît comme le double de Marivaux. Il entre pleinement dans la lumière en 1717 avec la présentation de son Pèlerinage à l’île de Cythère, morceau de réception qui lui ouvre grand les portes de l’Académie. Trois ans plus tard, l’enseigne éphémère qu’il imagine pour la boutique du marchand d’art Gersaint située sur le pont Notre-Dame enchante pour quelques semaines les Parisiens. Si l’immense et fragile panneau publicitaire n’a pas fait le dépla-cement depuis le château de Charlottenbourg, un dispositif numérique interactif en propose une restitution. Au premier plan, la mise en caisse d’un portrait de Louis XIV revêt une dimension politique : le soleil s’est couché sur le règne du Grand Roi, une nouvelle ère vient de s’ouvrir.

Charles Antoine Coypel (1694-1752), Adrienne Lecouvreur : Cornélie (La Mort de Pompée, Pierre Corneille), 1723. Pastel. Paris, musée de la Comédie-Française.

Charles Antoine Coypel (1694-1752), Adrienne Lecouvreur : Cornélie (La Mort de Pompée, Pierre Corneille), 1723. Pastel. Paris, musée de la Comédie-Française. Photo service de presse. © Collection Comédie-Française / Patrick Lorette

« Le Roi-Soleil est mort, vive les Lumières ? »

S’il est simpliste d’imaginer que la disparition d’un vieux roi au règne trop long rompt brutalement toutes les digues, il faut néanmoins voir les quelques années qui vont suivre comme une extraordinaire période de diffusion d’idées nouvelles, favorisées par un Régent naviguant entre fermeté et tolérance. Le choix de la raison et du doute méthodique prôné par Descartes des décennies plus tôt infuse plus que jamais. Voltaire est à la fois embastillé et célébré, alors que Montesquieu triomphe, au nez et à la barbe de la censure, avec ses féroces Lettres persanes, dont la forme épistolaire permet toutes les audaces. « La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », martèle le philosophe. À la mort du Régent en 1723, les Lumières brillent dans le ciel de France. Dans quelques décennies, elles seront au zénith.

Nicolas de Largillière (1656-1646), Portrait de Voltaire, entre 1718 et 1724. Huile sur toile, 80 x 65 cm. Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris.

Nicolas de Largillière (1656-1646), Portrait de Voltaire, entre 1718 et 1724. Huile sur toile, 80 x 65 cm. Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris. Photo service de presse. CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris

Visiter la galerie Dorée de l’hôtel de Toulouse

Fils naturel de Louis XIV, le comte de Toulouse entend en 1713 sublimer la galerie de l’hôtel de La Vrillière qu’il vient d’acquérir. Il commande alors à l’architecte Robert de Cotte et à l’ornemaniste François Vassé l’un des plus fastueux décors intérieurs du temps, véritable œuvre d’art totale s’émancipant du grand style versaillais. Évoquée à travers plusieurs pièces dans l’exposition, la galerie Dorée, aujourd’hui propriété de la Banque de France, est exceptionnellement ouverte gratuitement à la visite le premier samedi de chaque mois jusqu’en février 2024.

Réservation obligatoire sur www.billetterie-parismusees.paris.fr

« La Régence à Paris (1715-1723). L’aube des Lumières », jusqu’au 25 février 2024 au musée Carnavalet – Histoire de Paris, 23 rue de Sévigné, 75003 Paris. Tél. 01 44 59 58 58. www.carnavalet.paris.fr

Catalogue, sous la direction de José de Los Llanos et Ulysse Jardat, Paris Musées, 256 p., 39 €.