La promenade du bibliophile : Albéric Cahuet et Fondaumier
Les méandres de la Dordogne ont vu fleurir les écrivains presque autant que les châteaux. Si l’on retient généralement La Boétie, Montaigne et Fénelon, la période contemporaine ne fait pas exception à cet épanouissement des lettres et des arts. Ainsi, un coteau de la commune de Cénac-et-Saint-Julien, près de Domme, a vu éclore au XXe siècle le talent d’un journaliste et romancier pourtant bien oublié depuis : Albéric Cahuet.
Le nom d’Albert-Camille-Jean Cahuet, dit Albéric Cahuet (1877-1942), reste associé à un roman en particulier : Pontcarral, l’histoire d’un colonel d’Empire qui épouse, quelques années plus tard, une aristocrate royaliste. Né à Brive-la-Gaillarde d’une vieille famille périgourdine, Albéric Cahuet connaît bien son département d’origine puisqu’il se rend tous les étés en Périgord noir, chez son oncle, dans la propriété de Fondaumier. Or le domaine de Pontcarral, où se replie le héros lors des années de Restauration, n’est pas sans rappeler la gentilhommière de Fondaumier dans laquelle l’écrivain rédige son œuvre en 1937.
Albéric Cahuet ne se destine pas dès l’origine à vivre de sa plume. Après des études secondaires au lycée de Périgueux, il étudie le droit à Bordeaux à partir de 1895, avant de soutenir brillamment sa thèse sur la Liberté du théâtre en France et à l’étranger, puis de s’inscrire au barreau de Paris en 1902. Mais l’attrait des lettres est pour lui plus fort que celui du droit, si bien qu’il délaisse peu à peu sa carrière d’avocat pour se consacrer à l’écriture. Après la publication de quelques articles et d’un de ses premiers romans, La Corbeille d’argent, en feuilleton dans L’Écho de Paris, il devient rédacteur au journal L’Illustration en 1907, puis secrétaire de rédaction, grâce au soutien de l’écrivain limousin Henri de Noussanne. Le talent d’Albéric Cahuet se fait particulièrement connaître par ses critiques littéraires et ses pièces de théâtre, notamment Le roi s’ennuie, coécrite avec Gaston Sorbets, qui connaît un grand succès dans l’entre-deux-guerres. Son rôle au sein de la rédaction de L’Illustration devient d’autant plus important au lendemain de la Grande Guerre, lorsqu’il devient directeur littéraire du journal, ce qui exige de sa part un immense travail de lecture et d’écriture. Mais, même retenu à Paris la majorité de l’année par son travail de journaliste, Albéric Cahuet ne peut oublier, depuis son appartement de Passy, sa région natale. Le pittoresque des paysages périgourdins, le charme incomparable de la vallée de la Dordogne et de ses châteaux lui reviennent sans cesse en mémoire, si bien qu’il en fait le cadre de son roman Le Missel d’amour en 1923. Il place l’action dans la petite commune de Vézac, au château du Roc-Ferrand ; peut-être celui-ci est-il une évocation du château de la Roque à Meyrals. D’autre part, l’intrigue de la jeune épouse emmurée vivante dans une des tours n’est pas sans rappeler la légende de la Dame blanche qui anime le château de Puymartin, près de Sarlat.
Le Missel d’amour
« L’idée du roman venait d’une lecture que j’avais faite d’un vieux journal écossais, et j’avais simplement transposé cette histoire dans le Périgord où chaque année je passe mes vacances. Eh bien, nombre de mes lecteurs du pays n’ont jamais voulu croire que le drame ne s’était pas réellement passé dans la région. Bien plus. Un châtelain du pays s’est imaginé que l’histoire avait eu pour décor la demeure qu’il habitait et l’on m’assura que depuis la lecture de mon livre il a perdu quelque peu le sommeil, car il est impossible de dormir paisiblement en des murs où une femme assassinée attend toujours qu’on la découvre. »
L’intérêt pour l’époque napoléonienne et la passion pour le personnage de l’Empereur sont des traits marquants d’Albéric Cahuet, qui l’amènent à rédiger, avant Pontcarral, plusieurs articles historiques et un plaidoyer pour l’entretien de la maison de Sainte-Hélène. Dès 1913, son roman Après la mort de l’Empereur. Documents inédits est couronné par l’Académie française ; l’année suivante, il fait publier Napoléon délivré. En 1932, il écrit encore le roman Sainte-Hélène, petite île. Cinq ans plus tard, donc, paraît Pontcarral qui passera à la postérité comme l’ouvrage le plus célèbre de l’écrivain. En réalité, la demeure de Pontcarral semble avoir été inspirée à la fois par la gentilhommière de Fondaumier, où l’écrivain se retirait pour les vacances, et par le domaine de La Tâche, où habita un demisolde bien réel, le capitaine François Delfaud.
« Le souvenir de ces anciens soldats est resté vivant dans la région périgourdine et, avec plus de précision, dans le Sarladais, où tous les ans je vais prendre mon repos estival. […] Enréunissant les souvenirs du capitaine Delfaud à ceux d’un ancien officier supérieur impérial qui vécut dans la maison même où je passe chaque année mes vacances, j’ai fait le colonel Pontcarral, héros du roman qui a pris son nom pour titre et que l’on revoit comme personnage épisodique dans mon ouvrage plus récent : Les Abeilles d’or, paru en janvier 1939. »
Réédité à de nombreuses reprises, Pontcarral connaît une telle popularité que le roman est adapté à l’écran en 1942 par Jean Delannoy, avec un scénario et des dialogues signés par Bernard Zimmer, et l’acteur Pierre Blanchar dans le rôle principal. Suite à ce film, certains résistants choisissent d’ailleurs le nom de code Pontcarral, comme le général Pierre Dejussieu, futur compagnon de la Libération. L’actrice Suzy Carrier, pour sa part, donne le nom de Pontcarral à sa villa du Vésinet en souvenir de son premier film, qui l’a fait connaître dans le rôle de la jeune Sibylle de Ransac. Travailleur acharné, Albéric Cahuet décède brutalement à sa table d’écriture le 31 janvier 1942, après avoir suivi le déménagement de la rédaction de L’Illustration en zone libre, à Lyon, bien loin donc de sa chère Dordogne. Son fils Robert Cahuet vient remédier à cet exil post mortem en faisant transférer ses restes, en 1980, au cimetière de Cénac. Si bien que le touriste curieux ou le visiteur averti peut aujourd’hui se recueillir sur la tombe de l’homme de lettres, à l’ombre de la belle petite église romane de pierre ocre.
La gentilhommière de Fondaumier
Sur cette même commune de Cénac se situe la gentilhommière de Fondaumier, dont le petit-fils d’Albéric Cahuet et son épouse rouvrent les portes au public pour les Journées du patrimoine 2023. Dès le jardin, le bibliophile en promenade sera charmé par une petite fontaine qui vient rappeler un pan méconnu de l’œuvre d’Albéric Cahuet : son travail novateur et précurseur sur l’histoire de l’art au féminin. Il publie en effet dès 1926 Moussia ou La Vie et la mort de Marie Bashkirtseff, première biographie consacrée à l’artiste. Puis il revient sur le sujet en 1930 avec Moussia et ses amis, ouvrage consacré aux relations artistiques et aux connaissances de la peintre. La question de la femme artiste l’intéresse donc précocement ; la fontaine de Fondaumier est un cadeau de mécènes russes aux descendants de l’écrivain, en remerciement de ce travail de recherche sur Marie Bashkirtseff. Puis, en passant la porte qui couronne le petit escalier de pierres anciennes, le visiteur pourra s’imprégner du charme du salon, soigneusement décoré dans le goût Empire. De belles lithographies d’Édouard Detaille y font revivre les hauts faits de l’époque impériale. Pour un peu, on s’attendrait presque à croiser Pontcarral et Garlone en train de se promener sous la tonnelle de la terrasse, ou encore entendre le chien Tambour japper dans le jardin. L’ombre des personnages de fiction n’est jamais très loin… ni celle de l’écrivain d’ailleurs.
Gentilhommière de Fondaumier, 1583 route Roc Marty, 24250 Cénac-et-Saint-Julien. Courriel : xavier.cahuet@wanadoo.fr
La rédaction remercie la famille Cahuet pour son aimable autorisation de reproduction.
Les citations sont extraites de l’article « Comment j’ai rencontré mes personnages romanesques », Art et Histoire en Périgord noir, n° 163, 2020, p. 145-157