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La promenade du bibliophile : Lamartine et le château de Saint-Point

Façade occidentale du château.

Façade occidentale du château. © Victoire Ladreit de Lacharrière

Au creux d’un paisible vallon bourguignon, à une dizaine de kilomètres au sud de Cluny, se dessine, émergeant de la brume, la silhouette imposante du château de Saint-Point. Outre son élégance architecturale, le trésor de l’édifice est intérieur : aux yeux du bibliophile passionné, il est avant tout la demeure du célèbre poète romantique Alphonse de Lamartine, qui en fut propriétaire de 1820 à sa mort en 1869. Or, ces presque 50 ans furent autant ceux de la gloire que des pires souffrances pour l’homme de lettres.

Rien ne devait prédestiner le jeune Alphonse à devenir propriétaire du château de Saint-Point si tôt. Mais les tractations de son mariage avec une belle Anglaise, Mary Ann Birch, tardant à se conclure du fait du manque de fortune du fiancé, le père de celui-ci, Pierre de Lamartine, consent à lui donner le domaine en avance d’héritage pour conclure l’union.

Une restauration dans le goût anglais

Construit entre le XIIe et le XIVe siècle, le château de Saint-Point était à l’origine une maison forte, défensive, entourée de douves et protégée par un pont-levis. Ces éléments médiévaux sont supprimés par Lamartine, qui, entre 1823 et 1827, entreprend de grands travaux pour restaurer le bâtiment pillé à la Révolution. Il le met au goût du jour en plantant un jardin à l’anglaise, reflet de son goût romantique, et en ajoutant un portique dessiné par son épouse Mary Ann, dont le motif de trèfles rappelle l’emblème de la famille Lamartine. Quant au pavillon sud construit plus tardivement, il comporte un grand balcon de type oxfordien, offrant une vue imprenable sur les collines environnantes et l’église romane du village.

Vue sur la campagne bourguignonne, par temps brumeux, depuis le cabinet de travail d’Alphonse de Lamartine.

Vue sur la campagne bourguignonne, par temps brumeux, depuis le cabinet de travail d’Alphonse de Lamartine. © Victoire Ladreit de Lacharrière

Le Tailleur de pierres de Saint-Point

Lamartine évoque ainsi les grands travaux au crépuscule de sa vie, dans son roman populaire Le Tailleur de pierres de Saint-Point paru en 1851 : « J’ai semé des gazons, j’ai tracé des allées sablées dans les bosquets de noisetiers qui l’entourent, j’ai enfermé dans une enceinte de murs quelques arpents de terre et de prés qui suivent les ondulations et les caprices de la colline, j’ai préservé de la faux ou de la hache du fermier quelques grands arbres dont les rameaux m’ont remercié en s’étendant sur mes pelouses. J’ai percé quelques portes et quelques fenêtres dans les murs de cinq pieds d’épaisseur du vieux manoir, j’ai attaché à la façade principale une galerie massive de pierres sculptées sur le modèle des vieilles balustrades gothiques d’Oxford. C’est sur cette galerie que les hôtes de la maison se promènent le matin au soleil levant ou s’assoient le soir, à l’ombre immense des tours, sur le pré en pente. »

Alphonse de Lamartine, Le Tailleur de pierres de Saint-Point, 1851, Lecou, Furne, Pagnerre, Paris, frontispice et page de titre.

Alphonse de Lamartine, Le Tailleur de pierres de Saint-Point, 1851, Lecou, Furne, Pagnerre, Paris, frontispice et page de titre. © DR

Lieu d’inspiration et de réception

Lieu d’inspiration pour l’écrivain, le château de Saint-Point est en effet également un écrin qui lui permet de recevoir l’élite romantique de son temps, de Victor Hugo à George Sand, en passant par Liszt, Chopin et les Dumas. On croirait encore entendre des éclats de leurs conversations en pénétrant dans la salle à manger aux boiseries XVIII; sur la table dressée, la vaisselle, un service anglais Herculanum, est bien celle du poète, probablement commandée à l’occasion de son mariage. La chambre de Lamartine, ornée d’une tenture de cuir intacte, est elle aussi restée figée grâce à sa nièce Valentine de Cessiat, qui hérite du château à son décès et en fait un lieu de mémoire. Dans cette chambre à coucher pleine de souvenirs, on trouve toujours le portrait de Fido, le chien préféré de l’homme de lettres, ou encore le crucifix qu’il recueillit sur le lit mortuaire de sa muse, Julie Charles. À ce souvenir poignant, il consacre tout un poème dans son recueil Nouvelles Méditations poétiques. « Toi que j’ai recueilli sur sa bouche expirante Avec son dernier souffle et son dernier adieu, Symbole deux fois saint, don d’une main mourante, Image de mon Dieu ; Que de pleurs ont coulé sur tes pieds que j’adore, Depuis l’heure sacrée où, du sein d’un martyr, Dans mes tremblantes mains tu passas, tiède encore De son dernier soupir ! »

À l’étage, vitrine consacrée à l’œuvre littéraire de Lamartine.

À l’étage, vitrine consacrée à l’œuvre littéraire de Lamartine. © Victoire Ladreit de Lacharrière

Un écrivain endetté

L’autre pièce restée totalement inchangée est celle du cabinet de travail de l’écrivain, donnant sur le balcon oxfordien. Sous son plafond voûté à la tenture rayée, on pourrait presque entr’apercevoir le poète à sa modeste table de travail, laissant glisser sa plume sur le papier, noircissant des pages et des pages pour tenter de calmer ses créanciers. À la fin de sa vie, déçu après son échec à la présidentielle de 1848 et l’évolution des goûts littéraires, Lamartine rencontre en effet de sérieux problèmes financiers qui l’obligent même à vendre en 1860 sa maison natale de Milly à laquelle il tenait tant.

Projet en plâtre pour le monument en l’honneur de Lamartine par Émile-Louis Truffot, 1874.

Projet en plâtre pour le monument en l’honneur de Lamartine par Émile-Louis Truffot, 1874. © Victoire Ladreit de Lacharrière

« Je songe à ceux qui ne sont plus »

Il ne se sépare jamais, en revanche, du château de Saint-Point, puisqu’y est enterrée sa fille Julia, décédée en 1832 à l’âge de 10 ans, alors que le couple avait déjà perdu un garçon, emporté à 20 mois par la tuberculose. Une émouvante vitrine, au rez-de-chaussée, rassemble les jeux de leur enfance. Si Mary Ann, du fait de ces disparitions, ne supporte plus la demeure vide et lui préfère le château de Monceau, Lamartine revient à Saint-Point dans sa vieillesse, comme si la proximité avec le caveau familial l’apaisait. Déjà en 1820, il écrivait dans le poème « Le Soir » : « Je songe à ceux qui ne sont plus : Douce lumière, es-tu leur âme ? Peut-être ces mânes heureux Glissent ainsi sur le bocage ? Enveloppé de leur image, Je crois me sentir plus près d’eux ! Ah ! si c’est vous, ombres chéries ! Loin de la foule et loin du bruit, Revenez ainsi chaque nuit Vous mêler à mes rêveries. »
Aujourd’hui, Saint-Point continue d’être ce sanctuaire paisible, dépositaire de souvenirs tant familiaux que littéraires. Depuis 1869, les visiteurs sont invités à entrer dans cette maison imprégnée de romantisme, et peuvent prolonger leur visite par la découverte de la tombe de l’auteur, à quelques pas, devant l’entrée de l’église paroissiale. Classé monument historique et labellisé « Maison des Illustres » en 2011, le château de Saint-Point accueille toujours les bibliophiles passionnés ou simples curieux.

La tombe d’Alphonse de Lamartine (1790-1869) au cimetière de Saint-Point.

La tombe d’Alphonse de Lamartine (1790-1869) au cimetière de Saint-Point. © Victoire Ladreit de Lacharrière

Château de Saint-Point, 316, route du Château, 71520 Saint-Point. Visite du 20 avril au 28 septembre 2025. Tél. : 03 73 01 94 59, courriel : contact@chateaudelamartine.fr, site Internet : chateaudelamartine.fr