L’atelier de restauration des bibliothèques du Muséum national d’histoire naturelle

Quelques-uns des 4 000 fers à dorer rassemblés dans l’atelier.

Quelques-uns des 4 000 fers à dorer rassemblés dans l’atelier. © Alain Richard

Dans les bâtiments du Muséum national d’histoire naturelle installés au cœur du Jardin des Plantes à Paris, un petit atelier joue un rôle considérable : celui de restaurer les livres de la quinzaine de bibliothèques que compte l’établissement.

La mission du Muséum national d’histoire naturelle, fondé en 1793 sur l’héritage du Jardin royal des plantes médicinales, est de rassembler les connaissances sur la nature et sur les relations que les humains entretiennent avec elle. C’est à la fois une mission de recherche menée par des scientifiques et de collecte d’objets parmi lesquels les livres tiennent une place fondamentale. Les bibliothèques sont réparties sur les différents sites du Muséum, autour du Jardin des Plantes et du Musée de l’Homme. Elles abritent non seulement des livres, mais aussi des manuscrits, des estampes, des photographies, ainsi que la collection des fameux « vélins », plus de 7 000 aquarelles et gouaches sur vélin réalisées entre 1631 et le début du XXIe siècle représentant des plantes, des animaux, ainsi que des minéraux. On y trouve également des objets ayant appartenu à des savants célèbres qui ont été offerts au Muséum.

La Genette (détail), aquarelle sur vélin, ménagerie du Muséum national d’histoire naturelle.

La Genette (détail), aquarelle sur vélin, ménagerie du Muséum national d’histoire naturelle. © Alain Richard

Un fonds considérable

La dimension scientifique héritée de la philosophie des Lumières fait partie des ambitions révolutionnaires qui ont présidé à la naissance de la bibliothèque du Muséum. Le décret de sa création nous révèle que l’« on réunira aux livres qui existent déjà dans le Muséum, les doubles des livres en histoire naturelle de la grande bibliothèque nationale » afin de rassembler en un même lieu les ouvrages de même nature. Par ailleurs, « deux professeurs du Muséum, réunis à deux commissions du Comité d’instruction publique, seront autorisés à choisir dans les bibliothèques des maisons ecclésiastiques supprimées et autres bibliothèques nationales, les livres d’anatomie, de minéralogie, de chimie, de botanique, de zoologie et des voyages qui ont des rapports à l’histoire naturelle en général, pour en enrichir la bibliothèque du Muséum ». Les noms des deux premiers directeurs sont restés célèbres : Daubenton et Jussieu. Ces derniers puisèrent particulièrement dans la bibliothèque de l’abbaye Saint-Victor à Paris, supprimée en 1790 après des siècles de rayonnement culturel et dont le fonds avait été déposé à la Bibliothèque nationale. Ils mirent la main sur plus de 2 300 volumes avant la destruction des bâtiments aujourd’hui remplacés par le campus de l’université de Jussieu. Le couvent des Minimes situé dans le quartier du Marais leur fournit, quant à lui, 2 200 volumes. Le nombre de plus en plus important de livres obligea la première bibliothèque à déménager vers des locaux agencés à cette intention pour accueillir 40 000 volumes, dans l’actuelle galerie de minéralogie.

Le coffret en bois contenant les compas du zoologiste et anthropologue Armand de Quatrefages (1810-1892).

Le coffret en bois contenant les compas du zoologiste et anthropologue Armand de Quatrefages (1810-1892). © Alain Richard

Naissance de l’atelier

Mais, au milieu du XXe siècle, la place n’était plus suffisante puisque l’ensemble des fonds avait atteint le nombre considérable de 600 000 livres. Sur le dernier terrain disponible et non planté du Jardin des Plantes, entre la Grande Galerie de l’évolution et la serre de l’histoire des plantes, contiguë à la Grande Mosquée de Paris, on édifia sur les plans d’Henri Delaage, architecte des bâtiments civils et palais nationaux, une construction discrète et fonctionnelle qui est toujours en activité aujourd’hui. La nouvelle bibliothèque ouvrit en 1963, dotée de magasins métalliques et d’un atelier de restauration d’une centaine de mètres carrés. En effet, l’ancienneté des collections commencées dès le XVIIe siècle suppose de veiller attentivement sur les volumes afin qu’ils traversent le temps. Dans les années 1960, Pierre Millot, chef des travaux d’art, se chargea d’aménager un atelier capable de répondre à différentes exigences. Après avoir exercé quelque temps dans une maisonnette au milieu du Jardin des Plantes, il s’installa dans l’actuel atelier de restauration, qu’il divisa en zone sèche et zone humide, et conçut les meubles en bois et les différents rangements qu’on peut encore voir aujourd’hui. Il mit en œuvre différentes techniques et forma Christine Bastard qui lui succéda en 1997, après avoir été l’une des premières femmes diplômées d’un CAP de reliure, titre alors réservé aux hommes.

Henri Duhamel du Monceau (1700-1782), Traité des arbres et arbustes qui se cultivent en France en pleine terre après restauration.

Henri Duhamel du Monceau (1700-1782), Traité des arbres et arbustes qui se cultivent en France en pleine terre après restauration. © Alain Richard

« La nouvelle bibliothèque ouvrit en 1963, dotée de magasins métalliques et d’un atelier de restauration d’une centaine de mètres carrés. »

Des activités variées

Pour la restauration des parchemins, Christine Bastard précise qu’il faut nourrir le cuir avec délicatesse. Celui-ci étant très sensible aux variations hygrométriques, il est nécessaire, avant toute intervention, de le mettre à plat dans une atmosphère stable avec un taux d’humidité relative proche de 50 %. Concernant la collection des vélins, chaque peinture a été nettoyée avec précaution par gommage dans l’atelier avant sa numérisation. Les grands port-folios en maroquin rouge aux armes du roi, qui avaient été fabriqués pour les conserver en liasses, existent toujours. Un livre d’Henri Duhamel du Monceau vient d’être restauré. Cet éminent scientifique qui vécut au XVIIIe siècle a laissé une œuvre importante dans le domaine de l’ingénierie alors qu’il était inspecteur général de la Marine. La bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle a acquis en salle des ventes, en 2013, ce volume composé de toutes sortes de documents, notes manuscrites, pages imprimées, dessins. Christine Bastard a décidé de garder ensemble ces éléments de divers formats dans une même reliure en réalisant un montage sur onglets repliés qui garantit au livre une ouverture à plat. Avant la création de l’atelier, ce type de travail était envoyé à la Bibliothèque nationale de France. Aujourd’hui, les livres peuvent être traités sur place. À chaque fois qu’une intervention est réalisée à l’atelier de restauration du Muséum, une fiche détaillée ainsi qu’un dossier photographique des différentes étapes de restauration sont constitués et soigneusement archivés, afin de faciliter une éventuelle intervention postérieure.

 Extrait des pages des catalogues des papiers marbrés rassemblés par Pierre Millot, le fondateur de l’atelier.

Extrait des pages des catalogues des papiers marbrés rassemblés par Pierre Millot, le fondateur de l’atelier. © Alain Richard

Le matériel

Soucieux de l’évolution de l’atelier, Pierre Millot avait acheté auprès de relieurs qui cessaient leur activité des stocks de papier qui continuent à être utilisés. Les papiers marbrés sont classés par échantillonnage dans un catalogue. Les unis, rangés par épaisseur, par couleur et par nature, sont aujourd’hui complétés par des achats en Allemagne et en Italie. L’atelier est doté de plusieurs presses dont une presse oléo-dynamique pour les pressions fortes, acquise en 1984. Grâce à la presse à vide de marque Hess achetée en 1988, les collages peuvent se faire avec délicatesse : en effet, avec un vide de 97 %, le point d’ébullition de l’eau tombe à 24°, ce qui permet de réduire de moitié le temps de pressage et de sauvegarder les matériaux fragiles. Toutes ces machines font l’objet d’un contrôle deux fois par an, afin de garantir la sécurité de leurs utilisateurs. Les colles employées pour les cuirs et les papiers sont de type Klucel cellulosique, et Tylose. Elles sont neutres et surtout réversibles, tout en présentant une bonne résistance à la dégradation biologique et bactérienne. Totalement transparentes en séchant, leur pouvoir collant est plus faible que celui de la colle d’amidon mais a l’avantage de présenter plus de souplesse et de sécher moins vite, ce qui laisse le temps au restaurateur de finaliser son assemblage avec minutie. Pour retirer ce type de colle, il suffit d’eau et de patience. En ce qui concerne la toile de couvrure des volumes, l’atelier de restauration a mis en place un code de couleurs : bleu pour les dessins, grenat pour les incunables, bis pour les manuscrits, noir pour les photos, gris pour la chimie. Les livres imprimés conservent bien sûr leur couverture initiale dans la mesure du possible.

Extrait des catalogues des motifs de dentelles utilisés pour décorer les couvertures.

Extrait des catalogues des motifs de dentelles utilisés pour décorer les couvertures. © Alain Richard

Fers à dorer et cartonnages

Par ailleurs, Pierre Millot avait rassemblé un trésor exceptionnel : un ensemble unique de près de 4 000 fers à dorer qui figure aujourd’hui parmi les plus importantes collections parisiennes avec notamment celle de la Bibliothèque nationale de France et celle des Archives nationales. Ces pièces proviennent à la fois d’achats successifs, d’un don important offert dans les années 1970 par un particulier et du fonds du doreur Jacquard qui était installé rue Gît-le-Cœur, dans le 6e arrondissement de Paris.Tous les chiffres et les lettres sont bien sûr présents, ainsi que d’innombrables motifs floraux et filets. La collection compte également des roulettes pour réaliser les bordures et un four permettant de chauffer les fers à la bonne température avant d’appliquer la feuille d’or sur le cuir préalablement enduit de blanc d’œuf. Les motifs des roulettes sont consultables sur de petits catalogues en papier précieusement serrés dans un meuble fait sur mesure. Mais l’atelier de restauration n’est pas seulement sollicité pour des livres. Il doit permettre de conserver dans les meilleures conditions des estampes, des dessins naturalistes en très grand nombre et même des objets. Pour les documents en feuilles, différentes possibilités existent, qui doivent tenir compte à la fois des documents euxmêmes, des conditions de conservation, de manipulation, ainsi que des espaces de rangement. La machine de type Speed-Mat utilisée pour fabriquer des maries-louises et des encadrements est particulièrement utile pour les montages de documents sur fond tendu, ce qui convient bien pour des œuvres recto-verso, puisqu’on peut en observer les deux faces en tenant l’encadrement sans toucher les documents euxmêmes. Elle sert également pour les passe-partout et permet de laisser un jeu suffisant au papier qui peut ainsi s’adapter aux fluctuations des conditions ambiantes de température et d’hygrométrie. De plus, il est facile de retirer l’œuvre du passepartout si cela est nécessaire. Cependant, le passe-partout n’est utilisable que pour les documents très précieux dont le dos est resté vierge. Ces techniques sont aussi utilisées pour réaliser les encadrements de pièces choisies pour les expositions du Muséum.

« Pierre Millot avait rassemblé un trésor exceptionnel : un ensemble unique de près de 4 000 fers à dorer qui figure aujourd’hui parmi les plus importantes collections parisiennes avec notamment celle de la Bibliothèque nationale de France et celle des Archives nationales. »

Montage de dessins d’ichtyologie sur passe-partout.

Montage de dessins d’ichtyologie sur passe-partout. © Alain Richard

La transmission se poursuit encore aujourd’hui : des élèves du lycée des métiers d’art Corvisart-Tolbiac sont formés dans l’atelier auprès de Christine Bastard. Par ailleurs, la bibliothèque a à cœur d’enrichir ses collections, notamment grâce aux dons d’archives scientifiques, comme la bibliothèque du Centre d’études arctiques remise par le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) en 2001 sous le nom de fonds polaire Jean Malaurie. Ou bien encore l’exceptionnelle bibliothèque méso-américaine des anthropologues Guy et Claude Stresser-Péan en 2008. C’est ainsi que le Muséum détient maintenant plus de deux millions de documents de toute nature, ce qui le place parmi les trois plus grandes bibliothèques au monde dans son champ disciplinaire, avec la Smithonian Library de Washington et le Natural History Museum de Londres.