Redécouvrir Guillaume Guillon Lethière au Louvre
Le musée du Louvre rend hommage à une figure oubliée de l’histoire de l’art. En collaboration avec le Clark Art Institute de Williamstown, il consacre à Guillaume Guillon Lethière, né à la Guadeloupe, sa première grande rétrospective et lui redonne son statut éminent dans le milieu artistique parisien du début du XIXe siècle.
Trois de ses plus grands tableaux, La Mort de Virginie, Brutus condamnant ses fils à mort et Philoctète dans l’île déserte de Lemnos, figurent en bonne place dans le salon Denon, au centre des prestigieuses salles rouges du Louvre. Pourtant, Guillaume Guillon Lethière (1760-1843) n’avait encore jamais bénéficié d’une exposition monographique, en dépit d’une brillante carrière artistique qui le conduisit jusqu’au poste très convoité de directeur de l’Académie de France à Rome. Déjà en 1865, dans son Histoire des peintres de toutes les écoles, Charles Blanc s’interrogeait sur les raisons de l’oubli dans lequel était tombé celui qu’il présentait comme « une des grandes autorités de son temps ». « Comment aurait-on pu prévoir qu’à peine mort, il serait si complètement oublié ? »
Peintre d’histoire
L’acquisition d’une esquisse du Brutus par le Clark Art Institute de Williamstown en 2018 a relancé les recherches sur Guillaume Guillon Lethière, et en particulier sur ses origines guadeloupéennes et sur les cercles antillais à Paris au début du XIXe siècle. Après l’approche chronologique et historique proposée par l’exposition américaine, Marie-Pierre Salé, conservatrice générale au département des Arts graphiques du musée du Louvre, a choisi une présentation thématique, mettant en valeur l’importance de Guillon Lethière dans l’évolution de la peinture d’histoire au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle.
Un rôle de premier plan
Elle redonne ainsi au peintre son rôle de premier plan parmi les artistes de son temps, attesté par les deux grands tableaux qui ouvrent l’exposition. Dans la Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey réalisé par Boilly en 1798, Guillon Lethière, placé au centre de la composition, est mis en valeur par le jeu de lumière qui magnifie son visage. Une vingtaine d’années plus tard, il figure toujours en bonne place, se distinguant par sa haute taille au milieu de ses confrères dans Charles X distribuant des récompenses aux artistes exposants du Salon de 1824 au Louvre le 15 Janvier 1825 de l’école de François-Joseph Heim.
Formation
Fils naturel de Pierre Guillon, propriétaire d’une plantation de canne à sucre à Sainte-Anne en Guadeloupe, et de son esclave Marie-Françoise Pepeye, Guillaume Lethière ne porta le nom de Guillon qu’à partir de 1799, lorsque son père le reconnut officiellement comme son héritier. Il quitta les Antilles à l’âge de 14 ans pour Rouen où il reçut sa première formation artistique. Son talent lui permit d’entrer en 1778 dans l’atelier de Doyen où il se perfectionna dans le genre de la peinture d’histoire.
Le début d’une longue carrière
Après son séjour de pensionnaire à l’Académie de France à Rome, Guillon Lethière revint en 1791 à Paris où il débuta une longue carrière qui culmina par son élection à l’Institut et sa nomination comme professeur à l’École des beaux-arts de Paris. Remarqué grâce à Philoctète au Salon de 1798 et La Patrie est en danger en 1799, il célébra ensuite les victoires de Napoléon, puis l’instauration de la monarchie de Juillet avec son La Fayette présentant Louis-Philippe au peuple de Paris en 1830-1831.
Virginie et Brutus
Son goût pour l’Antiquité lui inspira un superbe Homère chantant son Iliade aux portes d’Athènes, et surtout deux sujets majeurs dont il exécuta de nombreuses variantes tout au long de sa vie : La Mort de Virginie et Brutus condamnant ses fils à mort. Il finit par donner en 1811 une version définitive de son Brutus, immense toile de 4,5 mètres de haut sur 8 mètres de large, qui obtint un beau succès et demeura son œuvre la plus célèbre. En revanche, La Mort de Virginie, achevée en 1828, fut décriée par la critique au Salon de 1831. Le goût pour « les grandes machines » d’inspiration néoclassique était définitivement passé. Ce tableau, qui peut se lire comme une condamnation de l’esclavage, occupe pourtant une place centrale dans l’œuvre de Guillon Lethière, au même titre que le Serment des ancêtres célébrant l’indépendance d’Haïti. Classé trésor national haïtien, ce grand format dont le prêt devait constituer le point d’orgue de l’exposition n’a pu quitter le musée du Panthéon national haïtien à Port-au-Prince en raison de sa fragilité.
Portraitiste et paysagiste
Guillon Lethière fut reconnu tout au long de sa carrière pour sa virtuosité de portraitiste et de paysagiste. Elle lui valut la protection de Lucien Bonaparte qu’il représenta à plusieurs reprises et grâce à qui il obtint d’importantes commandes de portraits de membres de la famille impériale, et en particulier de l’impératrice Joséphine en costume de sacre. Le frère de Napoléon Ier soutint la candidature de Guillon Lethière au poste de directeur de l’Académie de France à Rome en 1807. Le peintre, chargé de réorganiser l’institution qui venait de s’établir à la villa Médicis, fut critiqué pour avoir permis à son élève Antoinette Cécile Hortense Haudebourt-Lescot d’étudier parmi des pensionnaires exclusivement masculins. Le maître accueillait en effet de nombreuses jeunes femmes dans son atelier et favorisa la carrière d’Eugénie Servières et d’Eulalie Morin. Parmi ses élèves figurait également Théodore Rousseau qui allait bientôt faire tomber en désuétude le genre académique du « paysage historique » (mêlant paysage idéalisé et sujet d’histoire) où excellait Guillon Lethière, au profit d’une approche plus naturaliste.
« Guillon Lethière. “Né à la Guadeloupe” », jusqu’au 17 février 2025 au musée du Louvre, rue de Rivoli, 75001 Paris. Tél. 01 40 20 53 17. www.louvre.fr
Catalogue, coédition musée du Louvre / Snoeck, 432 p., 59 €.