Le millénaire du Mont-Saint-Michel

Vue de l’exposition La demeure de l’archange. Copie de la maquette réalisée pour Louis XIV.

Vue de l’exposition La demeure de l’archange. Copie de la maquette réalisée pour Louis XIV. © Pascal Biomez, CMN

Pour célébrer le millénaire de l’église abbatiale du Mont-Saint-Michel, une exposition revient sur la longue histoire du monument, tandis que le chantier de restauration de la Merveille s’achève et que de nouvelles études font remonter les traces d’occupation humaine sur le rocher au Néolithique.

Fondée en 1023, l’église abbatiale a connu bien des vicissitudes au cours des siècles, comme le relate l’exposition qui se tient dans la nef et le transept. Une trentaine d’œuvres, dont certaines sont présentées au public pour la première fois, permet de retracer les nombreuses étapes de la construction de l’édifice.

Nef romane et chœur gothique

Les plus anciennes sont de superbes chapiteaux romans et des statues d’anges musiciens du XIe siècle. C’est en effet dans les premières décennies de ce siècle, sous l’abbatiat de Hildebert, que l’église est construite au sommet du rocher, à 80 m au-dessus du niveau de la mer. Elle s’appuie sur un réseau souterrain formé par des constructions antérieures, comme l’église carolingienne qui prend le nom de Notre-Dame-sous-Terre, et par des cryptes servant de chapelles, bâties pour supporter les bras du transept, comme les cryptes Saint-Martin et Notre-Dame-des-Trente-Cierges. Le décor des chapiteaux, constitué de volutes et d’animaux fantastiques, est comparable aux enluminures ornant les manuscrits qui font la réputation du scriptorium (atelier où sont réalisés les manuscrits) du Mont-Saint-Michel. Ces œuvres proviennent du chœur roman dont la voûte s’effondre en 1421. Ce dernier est reconstruit en style gothique flamboyant après la guerre de Cent Ans, son élévation et sa luminosité offrant un saisissant contraste avec la nef romane, plus sombre et austère.

Nef et chœur de l’église abbatiale.

Nef et chœur de l’église abbatiale. © Daniel Chenot, CMN

Un lieu sacré depuis la nuit des temps ?

La nouvelle a fait sensation : le Mont aurait servi de lieu d’observation des étoiles dès le Néolithique ! Après s’être spécialisé dans l’étude des mégalithes, Stefan Maeder, docteur en archéologie à l’université de Fribourg et ancien conservateur au musée militaire de Leeds en Angleterre, a annoncé au printemps dernier ses premières découvertes menées à partir de signes gravés sur un rocher du Mont. Les traces en forme de cupules indiqueraient la position des astres et formeraient une carte de la voûte céleste qui daterait de 3500 avant notre ère. La sacralité du Mont remonterait donc à bien plus de cinq millénaires ! Est-ce un hasard si cette pierre percée d’un trou a été laissée en évidence par les bâtisseurs du Moyen Âge ? S’agirait-il également du rocher évoqué dans le texte du IXe siècle de la Revelatio ecclesiae sancti Michaelis archangeli in Monte Tumba qui relate la fondation de l’abbaye ? Saint Auber s’y serait assis pour contempler son œuvre et y aurait laissé l’empreinte de son doigt… 

Vue de l’exposition La demeure de l’archange.

Vue de l’exposition La demeure de l’archange. © Pascal Biomez, CMN

Une flèche néogothique

Mais les catastrophes continuent de frapper l’église abbatiale : au XVIIIe siècle, un incendie détruit les trois premières travées sur les sept que compte la nef. Elles ne sont pas reconstruites et, à leur place, est aménagée la vaste terrasse de l’ouest qui s’ouvre sur la baie et les îles Chausey, dont les carrières de pierres servent à la construction de l’abbaye. L’église est alors dotée d’une nouvelle façade de style classique en 1780, donnant accès à une nef presque réduite de moitié. Une des œuvres redécouvertes lors de la préparation de l’exposition donne à voir cet état disparu du monument qui mesurait 80 m de long avant l’incendie. Une plaque de fondation de messes de Saint-Jean-des-Champs datée de 1700 présente en effet une vue gravée du Mont-Saint-Michel bien différente de sa silhouette actuelle : son église était à la fois plus longue et moins haute, comme le prouve également une grande maquette, réplique de celle réalisée pour Louis XIV. L’édifice est encore remanié en grande partie au XIXe siècle. La transformation du Mont en prison à la Révolution modifie alors considérablement l’abbaye. Lorsqu’elle est classée Monument historique en 1874, l’architecte Édouard Corroyer engage une campagne qui permet de sauver les bâtiments. Son successeur, Victor Petitgrand, donne à l’église son aspect actuel en reconstruisant la tour de croisée du transept et en élevant en 1897 une flèche haute de 32 m, surmontée par la statue dorée de l’archange saint Michel terrassant le dragon. Cette œuvre réalisée par Emmanuel Fremiet a fait l’objet d’une nouvelle restauration en 2015.  

Le décor des chapiteaux est comparable aux enluminures des manuscrits qui font la réputation du scriptorium du Mont‑Saint‑Michel.

Vue de l’exposition La demeure de l’archange.

Vue de l’exposition La demeure de l’archange. © Pascal Biomez, CMN

Les fouilles dans le village

En contrebas de l’abbaye, de nombreuses campagnes de fouilles menées ces dernières décennies par l’Inrap dans le village apportent de nouvelles informations sur l’histoire militaire et civile du Mont. Un atelier de fabrication d’enseignes de pèlerinage, avec des moules en schiste datés des XIVe-XVe siècles, a été mis au jour en 2005 et éclaire l’activité artisanale liée à l’afflux de pèlerins. En 2011, les archéologues ont révélé les vestiges de la tour Denis, ouvrage édifié vers 1479 et détruit en 1732 qui faisait partie du système de fortifications. En 2015, ce sont d’anciennes maisons médiévales, détruites en 1368, qui ont été étudiées. Enfin, la recherche des fortifications et de la porte du XIIIe siècle a permis la découverte fortuite du cimetière paroissial que l’on pensait avoir été détruit en 1913. Bien que bouleversée par les aménagements postérieurs, la trentaine de sépultures livre de précieuses informations sur la population du village médiéval (voir aussi notre article dans Archéologia no 553, avril 2017). 

Fouille au pied du mur de fortification, tourné vers la grève du Mont-Saint-Michel, en 2011. Cette courtine reliant les tours de l’Arcade et de la Liberté a été érigée vers 1441. Les vestiges de la tour Denis sont visibles au centre de la photo.

Fouille au pied du mur de fortification, tourné vers la grève du Mont-Saint-Michel, en 2011. Cette courtine reliant les tours de l’Arcade et de la Liberté a été érigée vers 1441. Les vestiges de la tour Denis sont visibles au centre de la photo. © Denis Gliksman, Inrap

Le culte de saint Michel

Très populaire au Moyen Âge, le culte de saint Michel connaît un renouveau au XIXe siècle. La renaissance de la vie religieuse sur le Mont donne lieu à des commandes spectaculaires afin de reconstituer le trésor de l’abbaye dispersé à la Révolution et dont il ne subsiste que de rares pièces, comme un précieux calice en cristal de roche émaillé du XVIIe siècle qui pourrait être une donation de Louis XIV. En 1875, une somptueuse statue de l’archange, en argent sur âme de bois, exécutée par Alexandre Chertier (aujourd’hui placée dans l’église paroissiale Saint-Pierre du village du Mont-Saint-Michel) reçoit de la part du pape Pie IX les honneurs d’un couronnement. Une extraordinaire parure est alors réalisée par la maison de joaillerie Mellerio. Elle comprend une couronne (remplacée par une copie après son vol au début du XXe siècle), une épée flamboyante, un bouclier et deux colliers en argent doré orné de pierres précieuses.

Épée symbolique, 1878. Maison Mellerio dits Meller, Paris. Argent doré, pierres fines et précieuses, émail, perles. Le Mont-Saint-Michel, en dépôt.

Épée symbolique, 1878. Maison Mellerio dits Meller, Paris. Argent doré, pierres fines et précieuses, émail, perles. Le Mont-Saint-Michel, en dépôt. © Archives départementales de la Manche, Alexandre Poirier

Cette magnificence se retrouve dans le grand reliquaire du chef de saint Aubert, en argent doré, émail et lapis-lazuli, orné de perles et pierres fines, qui s’inspire du tabernacle de la Chartreuse de Pavie. Il contient la relique d’un crâne percé d’un trou, dont la perforation serait, selon la tradition, la trace du doigt de saint Michel. L’archange serait en effet apparu à Aubert, évêque d’Avranches, pour lui ordonner de construire un sanctuaire en son honneur sur le Mont-Tombe qui prend alors son nom. L’essor de ce culte dans toute l’Europe fait de l’abbaye le quatrième grand lieu de pèlerinage de la chrétienté après Jérusalem, Rome et Saint-Jacques-de-Compostelle. Des œuvres, précieuses ou plus modestes, prouvent que cette dévotion était partagée par toutes les catégories sociales. Des bannières, un bâton de procession, mais aussi des enseignes à l’image du saint ou de coquilles, réalisées dans le village à différentes époques, témoignent de l’importance des pèlerinages, ainsi que de la fascination exercée par le Mont au fil des siècles.

L’essor du culte de saint Michel dans toute l’Europe fait de l’abbaye le quatrième grand lieu de pèlerinage de la chrétienté.

Jean-Alexandre Chertier (actif entre 1857 et 1896 à Paris), Saint Michel terrassant le dragon, 1873. Argent sur âme de bois. Le Mont-Saint-Michel, église paroissiale Saint-Pierre.

Jean-Alexandre Chertier (actif entre 1857 et 1896 à Paris), Saint Michel terrassant le dragon, 1873. Argent sur âme de bois. Le Mont-Saint-Michel, église paroissiale Saint-Pierre. © Archives départementales de la Manche, Alexandre Poirier

 

Restaurer la merveille

Construite entre 1212 et 1228, la Merveille nécessitait une importante campagne de restauration. Fleuron de l’architecture médiévale, cet ensemble de deux corps de bâtiments élevés sur la pente nord du Mont constitue une véritable prouesse technique. Il comprend trois niveaux composés de salles grandioses qui ont suscité l’admiration des pèlerins au cours des siècles : l’aumônerie et le cellier au niveau inférieur, surmontés par la salle des Hôtes, la salle des Chevaliers et le chartier, et sommés par le réfectoire et le cloître. Ce lieu, renommé pour son ornementation et sa double rangée de colonnettes savamment décalées les unes par rapport aux autres pour dessiner des perspectives toujours changeantes, avait fait l’objet d’une campagne de restauration en 2017. Elle avait été précédée de fouilles archéologiques qui avaient permis de retrouver le niveau d’origine des sols. Les quelque 8000 m2 de façades en granit du bâtiment, ainsi que l’ensemble de ses toitures d’ardoises viennent d’être soigneusement restaurés. Les problèmes d’infiltration d’eau et l’état inquiétant des parements qui se délitaient rendaient nécessaire cette opération colossale qui a demandé près de trois ans de travaux, avec la construction d’un immense échafaudage et des opérations d’héliportage. Les joints, réalisés en ciment au cours de restaurations précédentes, ont été repris au mortier de chaux. Les parois en granit, longtemps recouvertes d’une épaisse couche de mousses et de lichens, ont retrouvé l’éclat de leurs teintes allant du rose au gris. 

Le cloître de la Merveille du Mont-Saint-Michel. Construit au XIIIe siècle et restauré au XIXe siècle.

Le cloître de la Merveille du Mont-Saint-Michel. Construit au XIIIe siècle et restauré au XIXe siècle. © Bridgeman Images

Les grandes dates du Mont-Saint-Michel

16 octobre 709 Aubert, évêque d’Avranches, consacre un sanctuaire dédié à saint Michel sur le Mont-Tombe. Ce premier édifice, de forme circulaire, est élevé sur la pente ouest du Mont, sur le modèle du sanctuaire de l’archange au mont Gargan en Italie.

● 965-966 Une communauté de moines bénédictins s’installe sur le Mont-Saint-Michel.

1023-1080 L’église romane est bâtie en haut du Mont-Saint-Michel.

1158 Le roi de France Louis VII et le roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt se rencontrent au Mont-Saint-Michel pour sceller la paix. L’abbaye connaît alors son apogée sous l’abbatiat de Robert de Torigni (1154-1186).

1204 Philippe Auguste rattache le duché de Normandie au royaume de France. Durant cette campagne militaire, ses alliés bretons incendient le Mont-Saint-Michel.

1212-1228 La Merveille est construite sur le flanc nord du Mont.

1434 Durant la guerre de Cent Ans, 119 chevaliers français défendent le Mont-Saint-Michel et repoussent à plusieurs reprises les assauts des troupes anglaises.

1446-1523 Le chœur de l’église est reconstruit en style gothique flamboyant.

1622 Les bénédictins mauristes réforment la vie de l’abbaye.

1793 Rebaptisée « Mont Libre » à la Révolution, l’ancienne abbaye, devenue propriété de l’État, sert de prison jusqu’en 1868.

● 21 avril 1874 L’abbaye est classée au titre des Monuments historiques. Les architectes en chef Édouard Corroyer, Victor Petitgrand et Paul Gout mènent successivement des travaux colossaux pour la restaurer.

1878-1879 Une digue est construite pour relier le Mont à la terre ferme.

1897 La flèche néogothique est élevée.

1969 Une communauté monastique bénédictine s’installe à nouveau dans l’abbaye.

1979 Le Mont-Saint-Michel et sa baie sont inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

2005-2015 Face au problème de l’ensablement de la baie, les travaux de « rétablissement du caractère maritime du Mont » et la construction d’un pont-passerelle permettent au Mont-Saint-Michel de retrouver son aspect insulaire.

L’église abbatiale vue du nord-ouest.

L’église abbatiale vue du nord-ouest. © Christian Gluckman, CMN

 

La demeure de l’archange. 1000 ans d’histoire et de création à l’abbatiale du Mont‑Saint‑Michel, jusqu’au 5 novembre 2023 à l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Tél. : 02 33 89 80 00 et www.monuments-nationaux.fr

À lire :
DALMAZ G., 2008, Le Mont‑Saint‑Michel, Paris, éditions du patrimoine.
DECAËNS H. (dir.), 2015, Le Mont‑Saint‑Michel, Paris, éditions du patrimoine.