Les 100 ans du musée national de Préhistoire aux Eyzies

Vue générale du musée national de Préhistoire au pied de la grande falaise des Eyzies. De droite à gauche : le musée actuel, le château, la statue L’Homme primitif (œuvre de Paul Dardé), la terrasse du Grand Abri et les réserves.

Vue générale du musée national de Préhistoire au pied de la grande falaise des Eyzies. De droite à gauche : le musée actuel, le château, la statue L’Homme primitif (œuvre de Paul Dardé), la terrasse du Grand Abri et les réserves. © Maxime Villaeys, MNP

Au cœur de la vallée de la Vézère en Dordogne, région célèbre pour ses nombreux sites archéologiques, le village des Eyzies abrite le plus grand musée de Préhistoire au monde. L’institution fête cette année le centenaire de son inauguration, qui eut lieu le 30 septembre 1923. L’occasion de rappeler les raisons de sa création et ses nombreuses singularités, que ce soit dans son implantation, dans son histoire institutionnelle et scientifique ou dans la richesse de ses collections.

En 1913, le préhistorien Denis Peyrony fait acheter à l’État « les ruines du vieux château des Eyzies » pour y créer un dépôt de fouilles afin que les collections issues des nombreux gisements de la vallée de la Vézère restent à proximité. Dès le départ, l’intention de montrer ces vestiges au public est réelle.

En 1913, Denis Peyrony fait acheter à l’État « les ruines du vieux château des Eyzies » pour y créer un dépôt de fouilles.

Du château en ruine à l’architecture contemporaine…

D’importants travaux de restauration et reconstruction sont menés dès la fin de cette même année ; ils ne sont pas encore achevés en 1918, au moment de l’ouverture des deux premières salles. Lors de l’inauguration officielle du 30 septembre 1923, trois sont visitables. Quelques années plus tard, en 1931, sont à leur tour inaugurés un nouvel espace de présentation des collections (Grande Salle) et la statue L’Homme primitif du sculpteur Paul Dardé, commandée par l’État pour la terrasse de la falaise. Dans les années 1950 puis 1960, ont lieu les premières extensions : Yves-Marie Froidevaux (1907-1983), architecte des Monuments historiques, conçoit des bâtiments administratifs et des réserves. Bien que modernes, ils viennent s’implanter sous la falaise du Grand Abri et s’y intègrent parfaitement : leur apparence reprend celle des occupations troglodytiques et leurs toits de lauzes sont particulièrement remarquables. En 1972, alors que le musée de Préhistoire prend son titre actuel (musée national de Préhistoire ou MNP) et est rattaché à la Direction des musées de France du ministère de la Culture, un nouveau projet scientifique émerge. En effet, le musée, trop petit, est inadapté aux conditions d’accueil des publics et se doit de trouver une assise plus forte dans un territoire où le tourisme va grandissant. Cette impulsion aboutit, une dizaine d’années plus tard, en 1984, au lancement officiel de la rénovation des lieux, sur la base d’un projet architectural confié à Jean-Pierre Buffi. Désormais placée sous la houlette de Jean-Jacques Cleyet-Merle, l’institution connaît une importante évolution de son projet scientifique et en matière de développement de dispositifs muséographiques et scénographiques. Titanesques, les travaux de construction de l’édifice génèrent d’importantes opérations de fouilles (abri du Musée, abri Casserole). C’est enfin en 2004 qu’ouvre le « nouveau » musée national de Préhistoire, chacun saluant la qualité d’insertion du musée dans le paysage et l’esthétisme de la scénographie qui couvre plus de 12 000 m2 et qui permet de parcourir près de 400 000 ans d’histoire humaine. Depuis, le musée n’a cessé d’enrichir ses collections et souhaite, après un siècle d’existence, voir le développement de nouvelles intentions muséographiques, scientifiques et culturelles.   

Le musée national de Préhistoire conçu par l’architecte Jean-Pierre Buffi en cours de construction à la fin des années 1990.

Le musée national de Préhistoire conçu par l’architecte Jean-Pierre Buffi en cours de construction à la fin des années 1990. © Philippe Jugie, MNP

 

Denis Peyrony, fondateur du musée

Acteur discret, Denis Peyrony est une personnalité majeure de l’histoire de la Préhistoire. Né en 1869 à Cussac, près des Eyzies, il s’intéresse à la discipline au tournant du siècle, alors que les découvertes et les fouilles des premiers gisements ont démarré dès 1863. Alors instituteur, il se consacre à la fouille des déblais des sites de La Madeleine et de La Ferrassie. Très vite, il trouve auprès de Louis Capitan un mentor qui l’initie aux méthodes d’investigations les plus récentes, notamment la fouille en stratigraphie. Peyrony explore alors les nombreux gisements qui deviendront des références : La Ferrassie et ses sépultures néandertaliennes, Le Pech-del’Azé, Le Moustier, La Micoque, La Madeleine et Laugerie-Haute. C’est avec Henri Breuil et Louis Capitan qu’il découvre les gravures de la grotte des Combarelles en 1901. Ses travaux et ses observations ont contribué à tracer les grandes lignes de la chronologie de la plupart des industries du Paléolithique. Pendant plus de 20 ans, sa fonction d’inspecteur des Monuments historiques le conduit à rédiger annuellement un rapport dans lequel il consigne les principaux résultats de ses fouilles, signale les pièces majeures et propose la mise en œuvre de protections des gisements. Après avoir transféré une partie de ses collections en 1912 au musée de Saint-Germain-en-Laye (actuel musée d’Archéologie nationale), il fait transformer les ruines du château des Eyzies en musée. Percevant l’atout touristique de la Préhistoire, il co-fonde le syndicat d’initiative des Eyzies en 1920. Entre ses fouilles, la direction du musée, l’inspection et la protection des sites, la promotion touristique, l’organisation de l’archéologie préhistorique, il poursuit ses activités jusqu’à sa retraite, et même jusqu’à sa mort en 1954 à Sarlat.

Archives MNP

Des collections indénombrables et vivantes

Les collections du musée sont aujourd’hui estimées à près de 7 millions d’objets. Estimées ? Oui car elles entrent dans le type particulier des collections publiques dites « indénombrables », qualification principalement utilisée pour les collections des muséums d’Histoire naturelle ou d’archéologie qu’il est impossible de décompter pièce à pièce. Mais que cachent ces chiffres ? Les collections se sont constituées en plusieurs phases : le socle principal est issu des séries regroupées par Denis Peyrony ; elles proviennent des fouilles anciennes de célèbres gisements régionaux préhistoriques qui ont bien souvent donné leur nom à une période de la Préhistoire (comme Le Moustier pour le Moustérien, entre environ 350 000 et 45 000 ans, ou La Madeleine pour le Magdalénien, entre environ 17 000 et 14 000 ans) ou de grands sites stratifiés comme Laugerie-Haute, La Micoque ou Combe-Grenal. Par la suite, la politique d’acquisition volontariste des années 1990-2010 fait entrer dans les collections les données de fouilles majeures conduites sur tout le territoire métropolitain de 1950 à 1980, par exemple à Arcy-sur-Cure (Bourgogne), Achenheim (Alsace), Lunel-Viel (Hérault) ou Verberie (Oise). Elle a fait de l’institution le plus important musée de Préhistoire au monde par la qualité et le nombre de ses collections. Aujourd’hui, si le musée conserve une grande partie des collections de référence de la discipline, il doit, par une politique d’acquisition réfléchie, anticiper l’entrée dans les collections publiques de gisements fouillés récemment (notamment dans le cadre de l’archéologie préventive) et qui seront les références de la science de demain. Une réflexion forte est ainsi engagée depuis 2022 pour repenser la structuration et l’organisation des réserves et prévoir les besoins en nouveaux espaces imposés par cet enrichissement des collections. Enfin, soulignons que les collections du MNP sont vivantes et quotidiennement mobilisées dans des programmes de recherche et le musée, loin d’être figé en ses murs, est lui-même acteur de cette recherche et impliqué dans une quinzaine de projets nationaux ou internationaux. Le renouvellement des connaissances sur ses collections est ensuite diffusé auprès des publics lors de tables rondes, de conférences, d’expositions ou de publications.

Galerie haute : vue en perspective de l’enfant de La Madeleine, de vitrines d’art mobilier et, tout au fond, au centre, de la célèbre lampe de la grotte de Lascaux.

Galerie haute : vue en perspective de l’enfant de La Madeleine, de vitrines d’art mobilier et, tout au fond, au centre, de la célèbre lampe de la grotte de Lascaux. © Maxime Villaeys, MNP

De quoi sont composées les collections de Préhistoire ?

Les collections du MNP sont constituées à 80 % d’industrie en pierre (silex et autres roches taillées) et pour près de 20 % de restes de faune, parfois disparue (mammouth, antilope saïga, ours des cavernes, rhinocéros laineux, etc.). L’industrie en matière osseuse (outils ou armes de chasse en os, ivoire ou bois de cervidé), les pièces d’art mobilier gravées ou sculptées, les éléments de parure, les céramiques et les objets en métal du Néolithique et des âges des Métaux (Bronze et Fer), bien que très faiblement représentés, témoignent pourtant de l’évolution des techniques et des manifestations artistiques et symboliques des premières sociétés humaines. Ces pièces à la très forte valeur patrimoniale sont très vulnérables en matière de conservation. Tel est également le cas des vestiges humains, qui représentent moins de 0,5 % des collections mais dont la rareté archéologique, au regard des millénaires considérés, confère à l’établissement un rôle de mémoire de la diversité des lignées humaines. Le musée préserve ainsi un très grand nombre de vestiges néandertaliens, notamment les squelettes quasi-complets du bébé du Moustier et de l’enfant du Roc de Marsal, mais aussi d’Hommes anatomiquement modernes (sépultures de la Madeleine, du Roc de Cave ou de Saint-Germainla-Rivière). Ces vestiges humains constituent aussi parfois des témoignages essentiels de rites funéraires du Paléolithique, permettant d’approcher les pensées de sociétés disparues.

Vitrines et publics en Galerie basse dans le musée actuel.

Vitrines et publics en Galerie basse dans le musée actuel. © Maxime Villaeys, MNP

La politique d’acquisition volontariste conduite dans les années 1990-2010 fait entrer dans les collections les données de fouilles majeures conduites sur tout le territoire métropolitain de 1950 à 1980.

Attention chef-d’œuvre !

Cette côte gravée datée du Magdalénien a été découverte dans l’abri du Château par Peyrony. Elle présente un décor très original avec une file de neuf humains stylisés, dont certains semblent équipés de sagaies ou de bâtons, face à un bison amputé de son arrière-train par une fracture ancienne de la pièce. Des signes semblant évoquer des mains stylisées ou de la végétation les accompagnent.

© Maxime Villaeys, MNP

Nouveauté de l’année, un parcours de visite dédié s’étirera, à partir de l’automne, dans les emblématiques espaces extérieurs (terrasses, ancien château) afin de rendre compréhensible la dense histoire de la falaise.

Un voyage dans l’épaisseur du temps

Le parcours débute par les origines africaines de l’Homme. Empruntant ensuite un escalier, le visiteur remonte le « puits du temps » et découvre l’histoire de la présence humaine dans la vallée de la Vézère : la Galerie basse s’appuie sur une longue vitrine latérale, « le fil du temps », allant de l’installation des premiers groupes humains, il y a 400 000 ans, jusqu’à la fin des temps glaciaires, vers 10 000 avant notre ère. Y sont présentés les conditions climatiques, l’environnement animal et les différentes industries en pierre ou matière dure animale. Lui font face des vitrines exposant les cultures paléolithiques plus en détail ainsi que des thématiques spécifiques (techniques, outillages, déplacements, vestiges anthropologiques, etc.). La Galerie haute évoque divers aspects liés aux modes de vie et aux activités artistiques et symboliques (art mobilier, blocs de roches gravés) et s’achève par l’entrée dans le monde des grottes ornées. Le visiteur quitte alors ces espaces pour accéder aux terrasses du château. Nouveauté de l’année, un parcours de visite dédié s’étirera, à partir de l’automne, dans ces emblématiques espaces extérieurs (terrasses, ancien château) afin de rendre compréhensible la dense histoire de la falaise. Plusieurs abris y ont été fouillés dès le XIXe siècle, puis lors des travaux de construction du musée actuel, mais un très petit gisement préhistorique subsiste encore au cœur du vieux château des Eyzies ! Cet abri du Château a fait l’objet d’études en 2022 par l’équipe scientifique du musée (resp. P. Jacquement). Elles ont livré des indices magdaléniens typiques avec des outils lithiques (burins et lamelles à dos), de la faune (os et bois de renne) et des parures en coquillage… 500 objets ont ainsi été dégagés lors de cette campagne qui s’est clôturée sur la découverte d’un niveau bien en place. L’année 2022 a aussi été l’occasion d’une étude historique et archéologique du château et des occupations troglodytiques en falaise (resp. M. Navetat, Hadès). Deux phases principales ont été identifiées avec des constructions antérieures au château, à vocation agricole et à usage d’habitation, qui comprennent des systèmes de circulation sur toute la hauteur de la falaise, puis la construction du château en lui-même à la fin du XVIe siècle, par Jean-Guy de Beynac avec la création de nouveaux aménagements (bâtiments agricoles, pigeonnier). La diversification de l’offre culturelle que propose aujourd’hui le musée va de pair avec son intention de renforcer son insertion au cœur du territoire et de mieux asseoir son rayonnement national et international. Il s’agit d’une nécessité, car parler de Préhistoire renvoie à des préoccupations éminemment contemporaines liées à l’Humain, son unicité et son altérité, à la diversité des fonctionnements des sociétés humaines, aux questions environnementales comme le climat et la biodiversité. Un musée centenaire dont le rôle sociétal actuel n’en demeure pas moins essentiel !

La fouille de l’abri du Château en juin 2022, vue générale.

La fouille de l’abri du Château en juin 2022, vue générale. © Maxime Villaeys, MNP

Attention chef-d’œuvre !

Cette pièce emblématique des collections du musée représentant un bison se léchant a été mise au jour dans l’abri de La Madeleine à Tursac. Elle fait partie des collections envoyées après leur découverte au musée de Saint-Germain-en-Laye (actuel musée d’Archéologie nationale) et « revenues » aux Eyzies grâce à un dépôt du MAN au profit du MNP. La matière (du bois de renne) ayant « manqué » à l’artiste, celui-ci a été obligé de représenter le bison avec la tête tournée vers son corps pour se lécher le flanc. Il a traité cette tête en léger relief et l’a rendue particulièrement vivante. Magdalénien, entre 17 000 et 14 000 ans. 

© RMN-Grand Palais (musée de la Préhistoire des Eyzies) / René-Gabriel Ojeda

Musée national de Préhistoire, 1 rue du Musée, 24620 Les Eyzies. Tél. 05 53 06 45 45. www.musee-prehistoire-eyzies.fr