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L’édito de Jeanne Faton : « Noces de dentelle et de porcelaine »

L’enceinte des Gobelins abritera le Mobilier national et la Cité de la Céramique, à Paris.

L’enceinte des Gobelins abritera le Mobilier national et la Cité de la Céramique, à Paris. Photo F. Vequaud – D.R.

Chères lectrices, chers lecteurs,

Le marié a 421 ans et la jeune épousée 285 ans : ce sont des âges bibliques, pour une histoire extraordinaire qui, à elle seule, résume tout le génie des arts décoratifs français.

Le marié

Lui, c’est le Garde-Meuble royal, créé en 1604 sous le règne d’Henri IV, réorganisé en 1663 par Colbert, sous le nom de Garde-Meuble de la Couronne, rebaptisé ensuite sous le Premier Empire Mobilier impérial et, à la chute du Second, Mobilier national. 

Au cours de sa longue histoire – c’est le privilège du grand âge –, il s’enrichit de manufactures royales, celle de la Savonnerie (les tapis à points noués à l’imitation des tapis turcs) en 1627, des Gobelins en 1662, de Beauvais en 1667 (les tapisseries de haute et basse lices) et d’un atelier de Recherche et de Création (l’ARC), voulu en 1964 par André Malraux. Lui sont également rattachés deux ateliers conservatoires de dentelle – celui d’Alençon, célèbre pour son point à l’aiguille, ancienne manufacture royale instituée aussi par Colbert en 1650 – et celui du Puy-en-Velay, né dans les premières décennies du XXe siècle pour conserver la pratique artisanale de la dentelle au fuseau. Il faut sept heures de travail pour créer un centimètre carré de dentelle d’Alençon, et pas moins de dix opérations successives : dessin et piquage sur un parchemin de couleur verte ; trace, réseau, remplis, modes et brodes pour réaliser la dentelle ; levage, éboutage et luchage pour les finitions.

Le siège du Mobilier national, 1 rue Berbier-du-Mets à Paris.

Le siège du Mobilier national, 1 rue Berbier-du-Mets à Paris. Photo Titlutin / CC BY-SA 4.0

L’épouse

La mariée, elle, à la fois tendre et dure, ne fait pas dans la dentelle, mais dans la porcelaine, et sa dot, si elle est moindre, est tout aussi prestigieuse : c’est la Manufacture de Sèvres. Son pedigree est celui d’une jeune fille de haute lignée : fondée dans l’enceinte du château de Vincennes au début des années 1740 par Claude Humbert Gérin, soutenue en haut lieu, elle obtient en 1745 le privilège royal d’être la seule à avoir le droit de fabriquer des porcelaines à la façon de la Saxe et déménage en 1756 à Sèvres, près du domaine de la marquise de Pompadour à Bellevue. Financée par le roi et protégée par la marquise, elle devient manufacture royale en 1759. Le droit exclusif d’utiliser sur ses décors toutes les couleurs et de l’or 24 carats lui confère des privilèges considérables sur ses concurrentes – Chantilly, Saint-Cloud, Paris – avant que la découverte d’un gisement de kaolin à Saint-Yrieix-la-Perche, en Limousin – ne lui permette de fabriquer de la porcelaine dure, blanche et translucide, à l’identique de celle venue de Chine ou produite, depuis le début du XVIIIe siècle, à Meissen en Saxe.

Sèvres - Manufacture et Musée nationaux, 2 Place de la Manufacture à Sèvres.

Sèvres – Manufacture et Musée nationaux, 2 Place de la Manufacture à Sèvres. © Wawa – stock.adobe.com

L’annonce de l’union

Le mariage entre les deux institutions, envisagé dès la Restauration, a été annoncé publiquement le 8 janvier dernier par la ministre de la Culture, Rachida Dati, et Hervé Lemoine, directeur du Mobilier national, qui apparaît décidément comme le digne successeur de Gédéon Berbier du Metz (premier intendant-contrôleur général du Garde-Meuble de la Couronne et président de la Chambre des comptes sous Louis XIV).

Un nouvel établissement public

Le logo du nouvel établissement public, appelé désormais « Manufactures nationales – Sèvres Mobilier national », ressemble à une feuille stylisée de marronnier à six branches, chacune symbole de ses ambitions réaffirmées : innover dans le domaine des arts décoratifs ; encourager la création (une grande commande de tapisseries pour Notre-Dame de Paris est, par exemple, en cours) ; soutenir l’ensemble des métiers d’art et de leurs filières sur tout le territoire français ; valoriser les très riches collections des manufactures nationales (540 000 pièces, sans compter les fonds graphiques et les 100 000 moules historiques de Sèvres) ; faire rayonner ces mêmes manufactures et leurs musées à l’étranger.

L’enceinte des Gobelins abritera le Mobilier national et la Cité de la Céramique, à Paris.

L’enceinte des Gobelins abritera le Mobilier national et la Cité de la Céramique, à Paris. © Mobilier national / Thibault Chapotot

Tous nos vœux de bonheur !

Une belle union et un beau programme, dans un contexte plutôt morose, où l’on apprend là que le Louvre prend l’eau, les finances publiques encore plus et qu’ici tel ou tel budget dédié à la culture a été amputé. Souhaitons donc aux jeunes épousés, comme dans les mairies et les contes de fées, « une longue vie, remplie de bonheur et de prospérité » et beaucoup d’enfants aux joues rose Pompadour et aux yeux bleu céleste.

Chères lectrices, chers lecteurs, vous trouverez dans ce nouveau numéro de L’Objet d’Art un bilan du marché de l’art 2024, l’histoire iconique de l’Opéra Garnier ou encore la présentation du service Penthièvre-Orléans, dont le Louvre vient d’acquérir des pièces, un chef-d’œuvre des arts décoratifs.

Une très bonne lecture !