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Au cœur de la vallée de la Vézère, à la découverte des gisements, abris et grottes de la Préhistoire (5/7). Font-de Gaume, l’inconnue

Chevaux et masques sur reliefs naturels dans la galerie Prat.

Chevaux et masques sur reliefs naturels dans la galerie Prat. © Relevé et photo P. Paillet, CMN, Font-de-Gaume

À l’occasion de l’achat par l’État, en novembre dernier, de l’iconique abri Cro‑Magnon, Archéologia vous propose de passer l’été dans les cavités du département de la Dordogne. Mondialement célèbres, certains de ces sites ont été découverts il y a plus de 150 ans ; ils sont toujours au cœur de la recherche scientifique qui vise à mieux comprendre leur datation, leur occupation (par Néandertal et Homo sapiens), ou encore leurs usages (habitats, lieux d’inhumation, lieux de création artistique…). Bienvenue en ces lieux exceptionnels !

Les auteurs de ce dossier sont : Nathalie Fourment, coordinatrice scientifique de ce dossier et directrice du musée national de Préhistoire, ministère de la Culture et UMR 5199 PACEA ; Estelle Bougard, Muséum national d’Histoire naturelle, équipe ComE, UMR 7194 CNRS ; Catherine Cretin, musée national de Préhistoire, ministère de la Culture, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Noël Coye, Centre national de Préhistoire, ministère de la Culture ; Émeline Deneuve, Drac Nouvelle-Aquitaine, Service régional de l’archéologie, ministère de la Culture, UMR 7194 HNHP, Museum national d’Histoire naturelle ; Emmanuel Discamps, UMR 5608 TRACES, université Toulouse Jean-Jaurès ; Jacques Jaubert, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Brad Gravina, musée national de Préhistoire, ministère de la Culture, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Elena Paillet, Drac Bretagne, service régional de l’archéologie, UMR 6566 CREAAH, université de Rennes ; Patrick Paillet, Muséum national d’Histoire naturelle, UMR 7194 ; Marc Thomas, UMR 5608 TRACES, université Toulouse Jean-Jaurès

Bisons gravés et peints dans la galerie principale.

Bisons gravés et peints dans la galerie principale. © P. Paillet, CMN, Font-de-Gaume

Classée au titre des Monuments historiques en 1902, puis inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 1979, la grotte de Font-de-Gaume est ouverte au public. Visitée et appréciée, elle s’inscrit, grâce à ses décors peints et gravés, parmi les sites emblématiques de l’art paléolithique d’Europe.

Font-de-Gaume en quelques dates

L’histoire de la grotte, et son rôle central dans l’adhésion définitive du monde savant à l’art pariétal, peut se résumer à quatre moments clefs : le 1er janvier 1892, à 22 ans et encore ignorant des choses de la Préhistoire, Denis Peyrony visite Font-de-Gaume avec son épouse et son beau-père. Comme tant d’autres, ils laissent leur signature dans ses tréfonds. Puis le 12 septembre 1901, quatre jours après son excursion inaugurale à Combarelles avec Louis Capitan et Henri Breuil, Peyrony retourne à Font-de-Gaume et reconnaît les premières figures peintes et gravées de la galerie principale. Les 14 et 15 août 1902, quelques spécialistes, réunis à l’occasion du 31e congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, visitent les grottes de La Mouthe, Font-de-Gaume et Combarelles, et admettent l’authenticité paléolithique de l’art pariétal. Enfin en 1910, sous les auspices du prince Albert Ier de Monaco, la monographie de Font-de-Gaume est publiée par Capitan, Breuil et Peyrony.

La grotte et son public

Si aujourd’hui on peut visiter Font-de-Gaume, c’est grâce aux multiples aménagements qui en ont facilité l’accès… mais qui, dans le même temps, l’ont défigurée ou n’ont pas été sans conséquence sur la conservation des œuvres peintes et gravées et de leur contexte. Ici nous avons la chance de parcourir une grotte ornée originale, l’une des rares à peintures polychromes encore accessible. Nous y contemplons, entre autres, des frises de bisons et des suites de mammouths et de chevaux peints et/ou gravés ; ils se logent dans les saillies et les creux des parois tourmentées de la galerie principale, du carrefour et des premiers mètres de la galerie latérale. Nous assistons à un moment d’intimité de la vie des rennes, animaux plutôt rares dans l’iconographie pariétale mais qui étaient pourtant si fréquents dans l’alimentation. Nous sommes captivés par une main négative et par quelques signes tectiformes rouges. Présentes dans une poignée de cavités du Périgord magdalénien, ces entités graphiques, que la visite s’attache à déchiffrer, font à juste titre la célébrité de la grotte, l’un des « six géants » de l’art pariétal selon l’expression de l’abbé Breuil.
Mais les temps ont changé depuis les travaux du « pape de la Préhistoire »… Aujourd’hui, le paysage de l’art pariétal paléolithique s’est considérablement élargi : en effectif d’abord, avec près de 450 grottes ornées actuellement connues (elles n’étaient que six ou sept au moment de la découverte de Font-de-Gaume) ; dans l’espace ensuite, du Sud de l’Espagne aux confins de l’Oural ; et enfin dans le temps, jusqu’aux premiers moments du Paléolithique récent. Néanmoins, Font-de-Gaume conserve toujours son charme des origines, qu’une nouvelle étude interdisciplinaire ravive depuis 2020.

Bison et signes gravés et peints du cabinet des Bisons.

Bison et signes gravés et peints du cabinet des Bisons. Relevé P. Paillet

Un nouveau programme de recherche

On a cru connaître la grotte en parcourant la monographie de 1910 ou les publications qui lui ont été consacrées. On a présumé tout savoir de sa richesse et de la diversité de son dispositif pariétal en cheminant dans ses galeries, ou en l’affrontant de manière plus théorique. À chaque fois la grotte ne se révélait qu’un peu. Il fallait parier sur le temps, les moyens et les méthodes d’un ambitieux programme interdisciplinaire pour redonner la parole à cette cavité maintenue à l’écart d’une recherche au long cours, sans doute en raison de son exploitation touristique, et plus certainement du médiocre intérêt que l’on trouvait à reprendre l’analyse d’un site déjà étudié et qui, par surcroît, avait perdu son intégrité.

Une inconnue se dévoile

Convaincus que la grotte et son environnement avaient encore bien des choses à nous enseigner, nous avons d’abord investi les secteurs non accessibles au public, contournant ainsi le premier écueil touristique. Dans trois galeries et une salle greffées à la diaclase principale, un Font-de-Gaume inconnu a d’abord révélé des centaines de nouvelles entités graphiques. Les inventaires dressés en 1910 (environ 200 entités), et répétés à l’envi jusqu’à il y a peu, sont désormais obsolètes. Nous avons recensé à présent près de 800 représentations, dont 258 figuratives (animaux, humains, masques), 236 signes de typologie très diversifiée, dont une quarantaine de tectiformes, et près de 300 vestiges graphiques de nature indéterminée. D’innombrables traces des passages et des séjours des animaux et des humains durant la Préhistoire, et plus près de nous au XIXe siècle, ont également été dénombrées et sont en cours d’étude. Les concrétions, les parois et les sols encore préservés dans ces « au-delà » topographiques ont été mis à profit scientifiquement par les géoarchéologues et l’ensemble des spécialistes de notre équipe transdisciplinaire.

De nouvelles dates en perspective

Enfin on ne saurait passer sous silence les micro-analyses physico-chimiques des pigments pariétaux, adossées à l’imagerie hyperspectrale, qui ont révélé la présence de nombreux tracés et figures réalisés au carbone. Cette découverte ouvre des perspectives séduisantes de datation directe d’une partie des œuvres pariétales, dont la chronologie supposément magdalénienne ne repose encore que sur une évaluation stylistique… 

Des sites à visiter

– Le Centre des monuments nationaux propose à la visite un certain nombre de sites : l’abri du Cap-Blanc, la grotte des Combarelles, la grotte de Font-de-Gaume, l’abri du Poisson, le gisement de La Ferrassie, le gisement du Moustier, le gisement de Laugerie-Haute et le gisement de La Micoque https://tickets.monuments-nationaux.fr/fr-FR/familles?site=2117969240920404140

– Aux Eyzies, le musée national de Préhistoire est un incontournable https://musee-prehistoire-eyzies.fr

– À Montignac, se trouve Lascaux IV – Centre international de l’art pariétal https://lascaux.fr/fr/Lascaux

– À voir aussi, la salle d’exposition permettant de découvrir la grotte de Cussac au Buisson-de-Cadouin www.lebuissondecadouin.fr/exposition-de-la-grotte-de-cussac

– La très belle grotte de Rouffignac www.grottederouffignac.fr/index.php/fr

– Le vallon de Castelmerle à Sergeac www.castel-merle.com