Yves Zurstrassen : jouer de la peinture

Autodidacte, Yves Zurstrassen vit et travaille à Bruxelles. Ses œuvres ont été présentées dans de grands musées belges (Mamac à Liège, IKOB à Eupen), danois, espagnol (Santa Cruz à Tolède) et l’année dernière au musée Picasso d’Antibes.

Pour réaliser les séries exposées, Yves Zurstrassen s’est retiré 14 mois en Provence, dans son tout nouvel atelier. Comme l’ascète recherchant l’harmonie dans l’ordre cosmique, il médite sur la démarche picturale, qui illustre son intérêt pour le négatif, au sens photographique du terme. Un jeu subtil s’instaure sur la toile par le retrait du pochoir, laissant des traces aléatoires que l’artiste combine pour former une trame aérée où circule le regard. « L’esprit aime jouer, c’est comme un chercheur qui invente des processus […] Je recherche la liberté du collage, celle des collagistes comme Schwitters, que j’apprécie énormément, mais au lieu de coller des images, je colle des pochoirs de papier », nous explique-t-il. « Je fais de la peinture ou de la sérigraphie à travers ces trous de papier. À la fin, je les retire et il reste ce qui est passé par les trous, tout simplement. »

Yves Zurstrassen (né en 1956), 16 06 07 Blooming, 2023. Huile sur toile, 70 x 70 cm. Photo service de presse. © Studio Zurstrassen – Courtesy Ceysson & Bénétière

La série de la première salle, « Free Time », est constituée des sept tableaux réalisés cet été pour la Halle des Bouchers (Centre d’art contemporain de Vienne), peut-être les exemples les plus évidents de cette « polyphonie silencieuse » qu’évoque Bernard Collet, commissaire de l’exposition de Vienne. C’est en écoutant surtout Joëlle Léandre et Evan Parker, ses amis musiciens de jazz, qu’Yves Zurstrassen a créé cette série. « Il s’agit vraiment d’un rythme musical, on peut jouer avec les formes du matin au soir, et la musique m’accompagne », nous confie-t-il.

Des séries très différentes les unes des autres : « Il n’y a jamais le même tableau. Ce qui m’intéresse c’est de basculer dans de nouveaux systèmes ; j’invente un système pour chaque série. » Celle peinte pour le musée Picasso à Antibes est présentée ici pour la première fois dans une galerie : les toiles évoquent en filigrane, à travers le système des pochoirs, le motif et la trame caractéristique des chaises cannées que Picasso commence en 1912, inventant les premiers collages de l’histoire de l’art.

Yves Zurstrassen (né en 1956), 22 05 26 Blooming, 2023. Huile sur toile, 70 x 70 cm. Photo service de presse. © Studio Zurstrassen – Courtesy Ceysson & Bénétière

« Blooming » (la floraison, l’épanouissement), s’impose comme un ensemble d’œuvres qu’on pourrait qualifier de métaphoriques, tant elles traduisent l’intensité de cette heureuse période de retraite, durant laquelle Yves Zurstrassen a joué des formes comme on recrée un monde rythmé par des ajouts et des retraits au profit de l’équilibre. Nul doute que son œuvre se regarde autant qu’il s’écoute, le silence de ses compositions est assourdissant d’harmonie, comme le moment magique d’une improvisation de free jazz, lorsque saxophone, piano, contrebasse, batterie… se répondent et s’entremêlent.