Quoi de neuf sur les Phéniciens (6/7) ? Un riche art international

Lion couché dit de Byblos. Comme ailleurs en Orient, le lion représente la force des dieux et des souverains phéniciens, ce qui explique la popularité de ce motif. Basalte, 400-350 avant notre ère. Acquis en 1853 par A. N. Pérétié. Paris, musée du Louvre.

Lion couché dit de Byblos. Comme ailleurs en Orient, le lion représente la force des dieux et des souverains phéniciens, ce qui explique la popularité de ce motif. Basalte, 400-350 avant notre ère. Acquis en 1853 par A. N. Pérétié. Paris, musée du Louvre. © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Maurice et Pierre Chuzeville

Sur la côte levantine naquit, au IIe millénaire avant une ère, une brillante civilisation qui allait essaimer tout le long des rivages de la Méditerranée au cours du millénaire suivant. Ces Phéniciens, comme les Grecs les appelèrent plus tard, furent découverts très tôt par l’archéologie. Par de nombreux aspects tout à fait fascinants, ils conservent néanmoins toujours une part d’ombre et de légendes. Archéologia vous propose un grand dossier de synthèse sur le sujet, à la lumière des dernières découvertes et études.

Les auteurs du dossier sont : Françoise Briquel Chatonnet (auteur et coordinatrice du dossier), directrice de recherche au CNRS, UMR 8167 Orient et Méditerranée, Mondes sémitiques ; Annie Caubet, conservatrice générale honoraire du musée du Louvre ; Éric Gubel, directeur honoraire des Antiquités des Musées royaux d’art et d’histoire à Bruxelles ; Robert Hawley, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études ; Hélène Le Meaux, conservatrice au département des Antiquités orientales du musée du Louvre ; Stevens Bernardin, Sorbonne-Université – UMR 8167 Orient et Méditerranée

L’unification de la Basse et de la Haute-Égypte rendue par l’enchevêtrement de leurs plantes héraldiques, semble, au premier abord, dénuée de tout sens. Mais c’est oublier la familiarité avec sa signification au Levant du IIe millénaire, et méconnaître le choix judicieux de la reprise éphémère du même motif à une époque où Sidon et Tyr formaient une entité bicéphale du point de vue politique. Plaquette d’ivoire d’Arslan-Tash, IXe siècle avant notre ère. Paris, musée du Louvre.

L’unification de la Basse et de la Haute-Égypte rendue par l’enchevêtrement de leurs plantes héraldiques, semble, au premier abord, dénuée de tout sens. Mais c’est oublier la familiarité avec sa signification au Levant du IIe millénaire, et méconnaître le choix judicieux de la reprise éphémère du même motif à une époque où Sidon et Tyr formaient une entité bicéphale du point de vue politique. Plaquette d’ivoire d’Arslan-Tash, IXe siècle avant notre ère. Paris, musée du Louvre. © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Raphaël Chipault

La redécouverte au XIXe siècle d’un alphabet, que les Grecs désignaient sous le nom dePhoenikeia grammata, fut suivie de celle d’un art narratif illustré, entre autres, par des « coupes sidoniennes » dont la qualité exceptionnelle était vantée dans la tradition homérique. Or, l’idée qu’un peuple levantin ait pu contribuer à la floraison intellectuelle et matérielle de notre continent ne s’est introduite que très lentement dans la conscience collective des élites des pays colonisateurs.

Ainsi bien des années après avoir ramené les premières antiquités des villes phéniciennes, Ernest Renan qualifiait leur production artistique comme « essentiellement un art d’imitation ». Et malgré la richissime récolte d’objets d’art phénicien répartie dans les trois volumes de l’Histoire de l’art dans l’antiquité signés Georges Perrot et Charles Chipiez entre 1884 et 1887, aux auteurs de conclure avec une boutade restée longtemps en vogue : « la seule originalité de l’art phénicien est le manque d’originalité » !

L’état de la recherche actuelle ne permet plus de parler d’une « émergence » de l’art phénicien au Ier millénaire avant notre ère ; il s’agit plutôt d’une renaissance.

Une déesse de type hathorique (la Baalat Gubal ?) est entourée de pseudo-hiéroglyphes, figurée sur un scarabée en jaspe vert. Le type de la hache fenestrée dans sa main, porté encore par des divinités puniques, illustre le transfert ininterrompu de motifs paléo-phéniciens au Ier millénaire avant notre ère. Liban ? Entre le milieu du IXe et le début du VIIe siècle avant notre ère. Hambourg, Museum für Kunst und Gerwerbe 1964.324-1.

Une déesse de type hathorique (la Baalat Gubal ?) est entourée de pseudo-hiéroglyphes, figurée sur un scarabée en jaspe vert. Le type de la hache fenestrée dans sa main, porté encore par des divinités puniques, illustre le transfert ininterrompu de motifs paléo-phéniciens au Ier millénaire avant notre ère. Liban ? Entre le milieu du IXe et le début du VIIe siècle avant notre ère. Hambourg, Museum für Kunst und Gerwerbe 1964.324-1. E. Gubel

Art millénaire, art identitaire

L’état de la recherche actuelle ne permet plus de parler d’une « émergence » de l’art phénicien au Ier millénaire avant notre ère ; il convient d’adopter plutôt la notion d’une « renaissance des idiomes artistiques de la culture cananéenne » à laquelle les ancêtres des Phéniciens se considéraient appartenir à part entière au IIe millénaire avant notre ère. Reprenant leur souffle à l’aube du Ier millénaire avant notre ère après l’effondrement des échanges internationaux de jadis, leurs descendants doivent faire face à de nouvelles populations dans les zones de débouché de leurs produits : tribus araméennes au nord comme à l’ouest et, au sud, les Hébreux. Issus d’un même substrat culturel et linguistique, les artistes gyblites (de Byblos) et tyro-sidoniens affichent leur ascendance cananéenne en reproduisant à souhait des motifs ancestraux tel, par exemple, celui de l’arbre sacré gardé par des sphinx et des griffons dans un même style tantôt égyptisant, tantôt à l’orientale – et cela comme au millénaire précédent. On retrouve ce métissage dans l’ensemble des média artistiques allant de l’architecture monumentale à la glyptique, en passant par la production de coupes en métal (précieux) au décor habilement gravé, de figurines en bronze et en terre cuite, sans oublier les chefs-d’œuvre en ivoire. Quoique de type oriental, les dieux de l’orage (Baal) et poliades sont le plus souvent habillés à l’égyptienne. Leurs parèdres ont une physionomie très proche des déesses égyptiennes. Les divinités portent ici et là des sceptres de type oriental, voire une arme d’un type millénaire comme la hache fenestrée. À part dans une poignée de cas, l’absence quasi-totale d’inscriptions rend une identification précise des effigies divines malaisée. Cette intégration d’éléments égyptiens dans l’art phénicien rappelle une entente unique et déjà millénaire avec la civilisation pharaonique dont seules les cités-États côtières pouvaient se vanter par rapport à leurs voisins au Levant à travers les siècles. Devenus terre d’asile pour des artistes fuyant la menace assyrienne au début du VIIe siècle avant notre ère, les ateliers de Chypre les introduisent à l’art grec, enrichissant ainsi l’aspect hybride de l’art phénicien avant que celui-ci n’incorpore des éléments achéménides dès la fin du Ve siècle avant notre ère. C’est sous la domination perse que l’on verra une dernière vague de style égyptisant réaffirmer l’attachement aux valeurs ancestrales. À noter que ce dernier courant n’est pas exclusivement représenté par des motifs adoptés, mais témoigne souvent d’une véritable relecture adaptant leur signification d’origine aux besoins des croyances locales. Pour aussi peu originale que l’on tenait la souche égyptisante de l’art phénicien dans le passé, ce dernier représente ainsi mieux que les autres courants la mémoire collective d’une civilisation bimillénaire.

Bronze de la fin du IIe ou du début du Ier millénaire représentant l’Ashtart phénicienne, déesse guerrière, de l’amour et de la fécondité. Paris, musée du Louvre.

Bronze de la fin du IIe ou du début du Ier millénaire représentant l’Ashtart phénicienne, déesse guerrière, de l’amour et de la fécondité. Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux