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Archéologie aérienne : de l’utilité des clichés anciens dans la recherche récente

Visible sur les photographies IGN anciennes, le cairn mégalithique de Carhaix ne sera identifié que dans les années 1990.

Visible sur les photographies IGN anciennes, le cairn mégalithique de Carhaix ne sera identifié que dans les années 1990. © Maurice Gautier, 13 juillet 1996

Au moment où de nouvelles technologies et méthodes d’exploration archéologique non intrusives voient le jour, il nous semble important d’apprécier les résultats récents obtenus, dans le département du Finistère et ses marges orientales, à partir d’une documentation plus ancienne… Dorénavant mises en ligne et facilement accessibles, les photographies verticales de l’IGN nous dévoilent encore de nombreuses surprises !

La mise en ligne des missions photographiques en noir et blanc de l’IGN, notamment sur le site « Remonter le temps » de Géoportail, permet de comparer les paysages agraires sur plusieurs décennies.

Décrypter les clichés en noir et blanc

Certains clichés montrent ainsi une dégradation presque complète des paysages bocagers au fil du temps. Le grand intérêt des missions des années 1950 est d’offrir un état des campagnes finistériennes antérieur à la « révolution agricole » des années 1960, avec ses remembrements radicaux, le développement de la mécanisation agricole et ses labours profonds qui ont largement entamé certaines couches archéologiques… L’observation minutieuse des orthophotographies anciennes souligne que les paysages avaient conservé, dans les années 1950, des vestiges souvent fossilisés dans les trames bocagères. Aujourd’hui, il est possible de découvrir, au sein des parcelles, des tracés discordants et l’œil aguerri du chercheur se porte sur les différences de teinte, les irrégularités ou textures particulières du couvert végétal, les formes atypiques des parcelles cultivées ; herbages, landiers séculaires, bois et massifs forestiers : tous peuvent préserver des vestiges.

Ensemble d’enclos emboîtés d’époque gauloise conservé sur les hauteurs des montagnes Noires à Gourin (Morbihan).

Ensemble d’enclos emboîtés d’époque gauloise conservé sur les hauteurs des montagnes Noires à Gourin (Morbihan). Capture Géoportail MG, orthophotographie IGN 50-65

Des stigmates spectaculaires

Parmi les structures que l’on peut repérer, citons, pour la Préhistoire, les cheminements et les cols, comme sur le site de Pontigou dans les monts d’Arrée, où les passages répétés des animaux et des hommes, depuis des millénaires, sont inscrits dans le substrat par des stigmates spectaculaires ; les haltes et stations des chasseurs-cueilleurs sont d’ailleurs reconnues à proximité. À côté de l’emblématique et imposant cairn néolithique de Barnenez, en Plouezoc’h, les clichés des années 1950 dévoilent un second monument d’une importance similaire à l’actuel, mais en cours de destruction. De nombreux éperons barrés par des talus curvilignes ont été perçus : on sait, d’après les fouilles récentes, qu’ils ont connu de multiples occupations depuis le Néolithique jusqu’au Moyen Âge. On retiendra l’éperon de la vallée du Dourduff, toujours sur la commune de Plouezoc’h, découvert par Thierry Roland, et son rempart de barrage long de 300 m. Le LiDAR littoral montre d’ailleurs, sur le flanc est de l’espace fortifié, de larges et profonds fossés interrompus : on a tout lieu de penser qu’il pourrait s’agir d’un camp néolithique inédit.

Des vestiges du Néolithique

Contrairement à la Haute-Bretagne, le Finistère et ses marges orientales présentaient un déficit anormal d’habitats fossoyés des âges des métaux, en dépit d’un corpus important, répertorié depuis le siècle dernier, de stèles funéraires de l’Âge du fer. Là encore, le dépouillement des missions anciennes de l’IGN a produit de nombreux enclos reconnus grâce à leur clôture arasée. À plusieurs reprises, à proximité des nécropoles de l’Âge du bronze, on a aussi relevé la présence de vastes structures fossoyées à dominante curviligne rappelant par leur morphologie des sites d’habitat fouillés récemment. Bien attestés, les enclos emboîtés ou accolés de l’Âge du fer occupent généralement des hauteurs ou des ondulations de terrain ; avec des superficies importantes variant entre un et quatre hectares, ils sont parfois associés à des souterrains.

Carte archéologique de la commune de Pleyben.

Carte archéologique de la commune de Pleyben. Document Maurice Gautier, DAO Stéphane Jean

Voies antiques et mottes médiévales

Les murs ou les fondations des bâtiments de l’Antiquité sont rares, et leur reconnaissance plutôt délicate du fait de la faible largeur du bâti et d’un développement spatial relativement limité des établissements armoricains. En revanche, les tronçons de voies antiques sont plus aisément identifiables en raison de l’emprise de l’itinéraire et de ses aménagements successifs. Les sites médiévaux sont également visibles sur les orthophotographies anciennes. Pour ceux encore conservés en élévation, l’absence de végétation parasite permet une reconnaissance rapide, notamment pour les mottes et leurs basses-cours. Les talus et fossés identifiés dans les bois et forêts sont difficiles à dater, bien qu’un nombre important d’entre eux remonte au « long Moyen Âge ». Les charbonnières ou les ferriers, qui se manifestent par la coloration noirâtre des sols labourés, se retrouvent en forte concentration dans les districts métallurgiques exploités anciennement, notamment dans la région de Locronan. Les découvertes actuelles sont en cours de contrôle au sol. Ces travaux aériens et pédestres démontrent que les littoraux et les campagnes des Osismes furent des espaces de prospérité, notamment aux époques protohistoriques. En dépit de la destruction de certains vestiges, les chercheurs du futur ont dorénavant à leur disposition de nouveaux matériaux qui leur permettront de mieux appréhender cette Bretagne « du bout du monde ».

Pour aller plus loin
GAUTIER M., 2024, Dépouillement des orthophotographies anciennes et récentes de l’IGN sur le Finistère et ses marges orientales, Rapport de prospection diachronique, Rennes, Bibliothèque numérique SRA Bretagne.

Remerciements

L’auteur tient à remercier Ronan Bourgaut (CDA du Finistère), David Duvollet, Muriel Fily (CDA du Finistère), Philippe Guigon, Céline Kergonnan, Jean‑Michel Moullec et Stéphane Jean pour les informations communiquées et les travaux complémentaires.