25 ans de fouilles à Arpajon : nouveaux regards sur les origines

Fouille au 94-96 Grande Rue d’Arpajon. © C. Piozzoli, SRA Île-de-France
Située en Essonne à une trentaine de kilomètres au sud de Paris, Arpajon livre, depuis la fin des années 1990, ses origines antiques. Les investigations permettent en effet de mieux cerner l’étendue de la cité et son organisation le long des berges de l’Orge. Telles les pièces d’un puzzle que les archéologues s’efforcent de rassembler pour leur donner une perspective historique, les découvertes dévoilent une étonnante agglomération romaine, qui fut sans doute une ville étape florissante du Ier au IVe siècle de notre ère. Bilan de 25 ans de fouilles.
C’est en 1720 que la ville prend le nom de Louis d’Arpajon, lieutenant général des armées du roi Louis XIV, à la suite de son rachat ; mais auparavant elle se nommait Châtres, héritage du latin castrum suggérant l’aménagement d’un site fortifié à cet endroit, peut-être dès le IVe siècle.
Un emplacement clef
Son essor commercial tient à sa situation favorable près d’un franchissement de cours d’eau (un pont sans doute romain) et à la convergence de plusieurs axes de circulation reliant les capitales des cités romaines. Parmi ces voies, on compte celle nord-sud, allant de Paris à Orléans, bien connue par l’Itinéraire d’Antonin et la Table de Peutinger, ou encore celle est-ouest entre Arpajon et Chartres, la capitale des Carnutes, qui passait par la vallée de l’Orge et Dourdan. Elle se poursuivait d’ailleurs à l’est d’Arpajon vers l’antique Corbeil-Essonnes où intervenaient les transbordements des marchandises qui arrivaient sur la Seine et par la route, grâce à la voie Paris-Lyon dite de l’Océan. Selon les limites des circonscriptions romaines (civitates), Castra était une ville frontière rattachée à la cité des Parisii ; elle marquait également l’entrée dans les territoires des Sénons au sud-est et des Carnutes à l’ouest. Depuis la fin des années 1990, les recherches archéologiques ont permis de mieux comprendre son évolution.
Limites et chefs-lieux des cités romaines : Autricum/Chartres, Agedincum/Sens, Lutetia/Paris, avec la situation de Castra/Arpajon. D’après un extrait de l’Atlas historique de la France d’Auguste Longnon, 1884
Les limites de la ville ancienne
Profitant d’une large terrasse naturelle, l’habitat antique se développe en rive droite de l’Orge, sur environ 300 m de large et 360 m de long, soit près une dizaine d’hectares. Ses limites sud coïncident avec les franges du boulevard Cornaton où les archéologues ont mis au jour de rares fosses des Ier, IIe et IIIe siècles. Non loin de là, des activités péri-ubaines sont attestées le long de l’ancienne voie Paris-Orléans (rue Verdier) : une carrière romaine des Ier et IIe siècles exploite des sables ou des marnes tandis qu’un espace funéraire du Bas-Empire (découvert fortuitement au siècle dernier) occupe l’autre côté de la rue. À l’est, les frontières de l’agglomération sont perçues sur la place du Marché ; puis les vestiges se raréfient pour laisser place à des parcelles agricoles, cernées de fossés et caractérisées par des terres amendées avec les déchets urbains. Il en est de même à l’ouest de la ville (94-96 Grande Rue). Le franchissement de la rivière a été profondément modifié au XVIIIe siècle : les tranchées réalisées rue Barbusse sont déjà situées dans les formations tourbeuses de l’ancien lit de la rivière, qui était beaucoup plus large jusqu’au Moyen Âge. Quant à la rive gauche de l’Orge, elle est bien moins connue. Si le tracé majeur est sans doute aménagé dès l’Antiquité, c’est seulement près de l’église Saint-Clément, que l’on identifie d’autres occupations antiques.
L’urbanisation routière romaine en rive droite
Les premières voies de communication sont attestées indirectement par des échanges commerciaux à longue distance représentés par des fragments d’amphores à vin italiques ou de production espagnole mis au jour dans des contextes augustéens (soit au tournant de notre ère). Si les habitats sont encore mal cernés, différents éléments suggèrent l’existence d’un projet d’urbanisme au début du Ier siècle. Il se matérialise par un quadrillage de petites ruelles sommairement empierrées qui respectent, avec quelques variantes, une direction est-ouest/nord-sud. Ce découpage en îlots aurait toutefois été partiellement abandonné au fil du temps, l’ensemble prenant alors sans doute la forme d’un bourg routier organisé autour des voies les plus importantes. Les constructions sont modestes et les activités qui s’y déroulent plutôt liées au trafic routier. À ce jour aucun monument public n’a été perçu. Sur cette rive, elles relèveraient donc d’une halte technique avec des services de maintenance pour les charrois et d’assistance pour leurs équipages. La circulation se maintient au moins jusqu’aux années 370-380 même si les logements restent difficiles à observer. La grande diversité de céramiques témoigne de la vitalité du commerce régional et d’échanges réguliers avec les régions du Sud et de l’Ouest de la Gaule alors que les contacts avec les régions orientales s’intensifient sensiblement au Bas-Empire.
L’ancien pont d’Arpajon mis au jour en 2019 lors des travaux Cœur de ville, place de l’Hôtel de Ville. Représenté sur les plans anciens, ce pont médiéval est détruit à la fin du XVIIIe siècle. La présence de mobilier antique et de tessons des IIe et IIIe siècles suggère que la construction située sur la berge date de l’Antiquité. Orthophotographie R. Touquet, Inrap
Un axe majeur : le cardo maximus
Observée à l’est de la rue Raspail, cette voie nord-sud présente les caractères d’un axe majeur par ses dimensions, ses dispositions et sa situation au cœur de l’agglomération antique. L’habitat de cette rive gravite autour de cette artère. La chaussée proprement dite mesure près de 7 m de large et comprend trois ou quatre grandes réfections. L’emprise routière intègre, outre la chaussée, deux accotements (de 3 m à 3,5 m de large) pourvus d’un fossé bordier et d’une sorte de galerie-portique au sol limoneux limité par des parois légères. L’identification de ce cardo maximus, son emplacement et sa direction confortent sérieusement l’hypothèse d’un franchissement de l’Orge au moyen d’un pont dès l’Antiquité, comme le laissent entrevoir les sources historiques. D’autres travaux dans la Grande Rue ont permis de voir ponctuellement la voie antique Paris-Orléans : selon les dernières suppositions, cette dernière, légèrement oblique, aurait dédoublé l’axe principal plus à l’est en franchissant l’Orge par un gué.
Lexique
Le cardo maximus est l’axe nord-sud principal d’une ville romaine ; il est bordé de voies secondaires appelées simplement cardo. Le decumanus maximus est l’axe principal est-ouest, avec ses parallèles les decumani.
Monnaie mise au jour dans le centre-ville d’Arpajon. © F. Pilon
L’habitat antique vers la place du Marché
Plusieurs équipes de l’Afan puis de l’Inrap sont successivement intervenues dans ce secteur. Des constructions romaines ont été remarquées à l’ouest, au plus près du cardo, laissant place à des terres humifères vers l’est. Mal perçues, ces maisons devaient être conçues autour d’une structure en bois et des parois en terre. Les sondages ont livré des céramiques de la fin du Ier siècle avant notre ère et de la première moitié du Ier siècle de notre ère. Une phase de reconstruction intervient vers le milieu du Ier siècle de notre ère. Les nouveaux bâtiments sont constitués de murs assez larges, essentiellement en terre, tandis que les reconstructions postérieures (IIIe siècle) sont dotées de murs plus étroits aux soubassements en pierres meulières supportant des élévations en terre. Ces rehaussements devaient mieux assainir la base des murs et l’intérieur des pièces. La plupart des sols intérieurs sont en terre battue, ou très exceptionnellement en mortier de chaux. De petits fragments d’enduits attestent un recouvrement intérieur des murs avec, dans certains cas, des décorations peintes. Les fondations de la place du Marché semblent définir deux ou trois constructions organisées autour du cardo, peut-être des villae urbaines, avec une partie résidentielle en cœur de parcelle et des remises à l’arrière. Les activités artisanales situées le long du trottoir comportent des ateliers de forge vraisemblablement liés au trafic routier. D’autres établissements sont attestés sporadiquement.
Diagnostic réalisé en 2014 place du Marché. © V. Goustard, Inrap
Les fouilles de l’ouest
L’importante fouille préventive de 2017-2018 menées sur 1 100 m2 sur une parcelle située le long de la Grande Rue (n° 94-96) se trouve le long d’un decumanus, entre 60 et 70 m à l’ouest du cardo maximus, sur les franges de l’agglomération antique. Un four, un puits et quelques empreintes de poteaux témoignent d’une occupation de la seconde moitié du Ier siècle avant notre ère. Deux ruelles est-ouest et nord-sud illustrent la pré-implantation urbaine d’époque tibérienne (entre 14 et 37 de notre ère). Le tronçon nord-sud est rapidement abandonné au profit de l’axe est-ouest reconstruit de manière conséquente au milieu du Ier siècle. La rue mesure environ 6 m de large et respecte la cadastration originelle. Elle fait l’objet de plusieurs réfections jusqu’au Bas-Empire et sa partie sud ne semble pas urbanisée. Du côté nord, un bâtiment rectangulaire sur solins conserve un sol très organique enrichi en phosphates caractéristique d’une écurie ou d’une étable. Dans la phase suivante (entre le milieu du IIe siècle et le milieu du IIIe siècle), la voie est reconstruite. Un probable enclos horticole et l’arrière-cour d’un établissement de bord de rue (taverne ou auberge ?) remplacent le précédent bâtiment. Dans cette cour, un ancien puits converti en latrines-dépotoir à la fin du IIe siècle contenait un important lot de céramiques et divers objets. Un établissement de grandes dimensions s’y installe au IVe siècle. Son plan partiel pourrait être en U, avec trois bâtiments principaux encadrant une cour prolongée d’une galerie le long de la voie. Selon Xavier Peixoto, responsable de la fouille, il pourrait s’agir d’un relais routier ou d’entrepôts.
Céramiques de la seconde moitié du IIe siècle découvertes dans les latrines au 94-96 Grande Rue. L’ensemble comprend des sigillées produites en Gaule centrale et des productions culinaires régionales. © V. Pissot, Inrap
Une autre voie à l’est
En 2024, les fouilles de la rue Charles Philippe Lemaire ont livré un autre decumanus sur un peu plus de 30 m de long. On y distingue les fossés d’emprise d’une première chaussée arasée et orientée selon le plan urbain initial. La couche de circulation est constituée d’un petit cailloutis posé sur une préparation de sol en limon damé. Dans le courant du Ier siècle, la voie est soigneusement reconstruite et renforcée afin de supporter des chargements plus conséquents. Dans ses états tardifs (IVe siècle), elle s’élargit sensiblement jusqu’à se confondre avec l’accotement et se poursuit vraisemblablement le long de la rivière jusqu’à Saint-Michel-sur-Orge où elle rejoint la voie de Corbeil. Un habitat léger borde le côté sud de ce decumanus. La nature précise et l’étendue des occupations présentes sur la rive gauche de l’Orge n’ayant pas encore été reconnues, cet état des lieux est susceptible d’évoluer. En effet, les sondages réalisés aux abords de l’église Saint-Clément révèlent une occupation romaine qui débute au Ier siècle de notre ère et sur laquelle s’implante une nécropole mérovingienne (VIe et VIIe siècles). Cette découverte inattendue donne dès lors une réalité tangible au vicus de Castra mentionné sur des monnaies du VIe siècle.
Détail du décor d’un des sarcophages en calcaire en cours de fouilles, parvis de l’église Saint-Clément. Production de la vallée de l’Yonne. © V. Goustard, Inrap
Pour aller plus loin :
DROST V. (dir.), 2020, Le trésor de Saint-Germain-lès-Arpajon (Essonne), un dépôt géant du IIIe siècle après J.-C., Trésors monétaires vol. XXIX, Paris, BnF Éditions.
GOUSTARD V., à paraître, « Les observations archéologiques dans les rues d’Arpajon (Essonne) dans le cadre des travaux de la rénovation urbaine Cœur de ville (2019-2022) », dans Actes des Journées archéologiques d’Île-de-France 2023, Saint-Denis, 1er et 2 décembre 2023.
NAUDET F., 2004, L’Essonne 91, coll. Carte archéologique de la Gaule, Académie des inscriptions et belles-lettres, ministère de l’Éducation nationale, ministère de la Recherche, ministère de la Culture et de la Communication, Paris, Maison des Sciences de l’Homme.
ROBERT S. et VERDIER N. (dir.), 2014, Dynamique et résilience des réseaux routiers : archéogéographes et archéologues en Île-de-France, Revue archéologique du Centre de la France, suppl. 52, Tours, Éditions FERAC.