Le legs Eugène Boudin à l’honneur à Honfleur
Créé en 1868, le musée de Honfleur prend en 1960 le nom d’Eugène Boudin (1824-1898), son plus illustre bienfaiteur. Il faut dire que le père de l’impressionnisme a activement contribué à la naissance de l’institution, à laquelle il a généreusement destiné une partie de son fonds d’atelier. Comptant quelque soixante-dix œuvres, ce legs fondateur fait l’objet d’une exposition aussi séduisante que didactique afin de célébrer dignement les 200 ans de la naissance de l’artiste.
Selon la formule consacrée, rien de prédestinait Eugène Boudin à s’imposer comme l’un des plus grands peintres de marine du XIXe siècle, et c’est par des chemins détournés que celui qui avait commencé comme modeste commis allait trouver la voie de l’art.
Du livre de comptes au pinceau
Il ouvre à l’âge de 20 ans une boutique de papetier-encadreur dans laquelle il présente des œuvres de peintres en villégiature dans la région, se liant ainsi à de talentueux artistes comme Constant Troyon, Jean-François Millet ou Thomas Couture, qui l’incitent à troquer son livre de comptes pour un pinceau. S’orientant sur le tard vers la peinture, en autodidacte, c’est à la seule force du pinceau qu’il bâtit sa réputation, lentement mais sûrement.
« On aime beaucoup mes petites dames sur la plage, d’aucuns prétendent qu’il y a là un filon d’or à exploiter. »
Lettre d’Eugène Boudin à Ferdinand Martin, février 1863, citée par Isolde Pludermacher, Eugène Boudin, lettres à Ferdinand Martin (1861-1870), éditions musée Eugène-Boudin, 2011.
Un succès tardif
En 1859, lors de sa première participation au Salon, son Pardon de Sainte-Anne-La-Plaud (Le Havre, musée d’art moderne André-Malraux) est qualifié de « bon et fort sage tableau » par Charles Baudelaire, dont il vient de faire la connaissance. Trente ans plus tard, il obtient une médaille d’or à l’Exposition universelle. Dix ans plus tard, en 1899, la rétrospective posthume organisée à l’École des beaux-arts de Paris lui rend un hommage appuyé. Travailleur acharné et passionné, le prolifique artiste a réalisé près de 9 000 tableaux, pastels, dessins et aquarelles. Reconnu et collectionné de son vivant, il sera surtout célébré après sa mort.
Un legs unique
Ce sont les méandres de cette carrière que l’exposition retrace à travers soixante-sept des œuvres qu’il a léguées à sa ville natale en 1899 (seuls manquent ici quatre pastels actuellement prêtés à la National Gallery of Art de Washington). On découvre aux côtés des charmantes scènes de villégiature et marines appréciées du public des œuvres bien plus confidentielles, telles que les natures mortes, portraits et copies de jeunesse, ou encore des œuvres d’amis issues de sa collection. Un ensemble unique et particulièrement signifiant puisque, si Le Havre a bénéficié du don majeur de 240 œuvres sélectionnées par le frère du peintre suite à la vente après décès, toutes les compositions conservées à Honfleur ont été soigneusement sélectionnées par Boudin lui-même à la fin de sa vie.
« J’ai Jongkind, Ribot, Vollon, Hamelin et tant d’autres souvenirs d’amitié et de bonne camaraderie… et c’est vous qui me manquez, vous qui devriez être là sur mon mur pour me rappeler nos années de début ».
Lettre d’Eugène Boudin à Claude Monet, 28 juillet 1892, citée dans Georges Jean-Aubry, Eugène Boudin d’après des documents inédits, Paris, 1922.
Famille et amis
Le parcours évoque notamment la famille et quelques confrères de Boudin, qui aimait s’entourer d’œuvres de ses amis. Bien qu’il se soit rarement adonné au portrait, il immortalise lui-même son père, marin de profession, dans une œuvre aux accents hollandais, tandis que son épouse apparaît ici sous le pinceau du Limougeaud Charles François Pecrus (1826-1907). Si Monet, qu’il rencontre au Havre en 1856 et auquel il a appris « à voir et à comprendre », est malheureusement absent de sa collection, on y retrouve notamment une Normande de Théodule Ribot (1823-1891) et des scènes de genre du Honfleurais Jacques Gustave Hamelin (1809-1895).
Copier les maîtres
Un florilège de copies réalisées par le jeune Boudin révèle plus loin sa fascination méconnue pour la peinture du XVIIesiècle hollandais et du XVIIIe siècle français. Parti étudier à Paris en 1851 grâce à une bourse de la Ville du Havre, il devient élève-copiste au Louvre, comme en témoigne sa version du Pèlerinage à l’île de Cythère d’Antoine Watteau (1684-1721). Il fréquente aussi le musée des Beaux-Arts de Caen et copie au pastel – technique si prisée du siècle des Lumières – des œuvres comme l’imposant Intérieur d’office de l’Anversois Frans Snyders (1579-1657). Son intérêt pour le peintre des fêtes galantes doit être rapproché des mondaines scènes de plage qui feront son succès.
« Ces études, si rapidement et si fidèlement croquées d’après ce qu’il y a de plus inconstant, de plus insaisissable dans sa forme et dans sa couleur, d’après des vagues et des nuages ».
Charles Baudelaire, Salon de 1859, Œuvres complètes de Charles Baudelaire, II. Curiosités esthétiques, Paris, Michel Lévy Frères, 1868.
La nature pour atelier
Celui qui inspirera Claude Monet préfère plus que tout travailler sur le motif. L’intérêt qu’il n’a cessé de porter à la lumière, aux nuages et aux effets atmosphériques lui vaudra le surnom de « père de l’impressionnisme », bien que sa palette reste toujours raisonnablement sage. Il participe d’ailleurs à la première manifestation du groupe (1874) et demeurera le compagnon de route des adeptes du plein-air. Son ami Henri Michel-Levy le représente ici à l’ouvrage au milieu d’un pré dans une pochade d’une grande fraîcheur qui témoigne de l’intérêt méconnu de Boudin pour les vaches. Vers 1880, ce sujet lui vaut un certain succès auprès des amateurs, à l’heure où la peinture animalière est notamment remise à l’honneur par Constant Troyon.
« Petites poupées »
Une section réunit de petites compositions issues de la fameuse série des plages « à crinoline ». C’est en 1862 que Boudin trouve le « filon » qui lui vaudra l’intérêt de collectionneurs fortunés tels Ivan Tourgueniev et les Rothschild, représentant non plus les modestes pêcheurs au travail mais les riches et élégants parisiens venus goûter aux joies des bains de mer. Usant d’une touche esquissée et sans jamais se concentrer sur les personnages qui se pressent en frise dans ses vues panoramiques (il parle de « petites poupées »), l’artiste se concentre toujours plus sur les paysages, les atmosphères.
« Le legs Eugène Boudin. Un héritage pour Honfleur », jusqu’au 5 janvier 2025 au musée Eugène-Boudin, place Erik Satie, rue de l’Homme de bois, 14600 Honfleur. Tél. 02 31 89 54 00. www.musees-honfleur.fr